Inclusion et restrictions de moyens
Lorsque je fais des formations ou des conférences sur
l’inclusion ou l’école inclusive, il ne manque jamais dans les débats ou
discussions que quelqu’un n’objecte que l’inclusion est avant tout une manière
de réduire les ressources et les moyens en faveur des personnes en situation de
handicap. Et d’ailleurs, d’une manière plus générale, que les mesures publiques
prises sous prétexte de progrès et d’amélioration de la situation de certaines
catégories de populations ont des conséquences désastreuses en matière de
ressources ou d’aides pour les plus démunis et de droits pour les plus
vulnérables. Il faut bien avouer que les craintes sont légitimes à
l’observation de ce qui se passe pour les chômeurs, les retraités et futurs
retraités, les pauvres, etc.
En ce qui concerne les élèves en situation de handicap, les mises en œuvre de l’intégration, puis de l’inclusion et maintenant de la scolarisation inclusive, sont contemporaines de mesures de réduction budgétaires et des ressources de l’Education nationale et du secteur médico-social. Il faut toutefois remarquer que les réductions budgétaires furent antérieures au développement de l’inclusion.
Cette contemporanéité des deux phénomènes, développement de
l’inclusion et diminution des dépenses publiques, met effectivement de la
confusion. Et l’on passe facilement d’une simple corrélation temporelle à
l’établissement d’une causalité : la diminution des dépenses publiques
aurait pour conséquence et effet la mise en place de modalités inclusives,
celles-ci étant réputées moins onéreuses, et inversement, l’inclusion serait
l’un des outils de réduction des dépenses publiques.
On ne peut ignorer dans ce contexte le dessein délibéré et
cynique de certains décideurs, politiques et technocrates, imbus de leurs
expertises et de leurs certitudes idéologiques, d’utiliser l’inclusion comme un
moyen de dépenser moins, indifférents à la qualité des accompagnements,
chantres de la responsabilisation à tout prix de tous : l’inclusion est
prônée à la mesure de la réduction des coûts et à l’aune d’une performance
indexée elle aussi aux mêmes paradigmes économiques. Dans ces conditions, il y
a lieu de se méfier des politiques inclusives, fussent-elle recouvertes d’un
vernis d’autonomie, d’empowerment et d’accès aux droits.
Cette corrélation incestueuse entre inclusion (ou société
inclusive) et réduction des ressources (et même de droits acquis ou conquis)
produit des effets dévastateurs sur les perspectives inclusives. Celles-ci servent
de repoussoir dans les tentatives désespérées des professionnels de maintenir
une qualité d’intervention et d’accompagnement auprès de populations
vulnérables (dont la vulnérabilité s’accroit dans ces conditions) et de donner
un sens éthique à leur travail. Elles sont utilisées à contre-emploi :
puisque l’inclusion n’est qu’un argument de restriction, il faut s’y
opposer !
Pour de nombreux acteurs, en particulier les responsables de
services, ce cynisme n’a pas cours. Il y a bien corrélation, mais dans une
certaine dynamique. L’inclusion constitue un réel progrès dans la participation
sociale, dans l’exercice et l’accès aux droits fondamentaux, dans
l’autodétermination. D’autre part, par conviction ou par injonction, la
« raison » conduit à l’adhésion aux principes d’économie dans les
politiques publiques. Et cela tombe bien, l’inclusion génère des
économies !
Cette malheureuse contemporanéité a aussi pour effet de
pérenniser des modalités de travail, sans même s’interroger sur les enjeux de
l’inclusion. Elle tient à distance la possibilité d’interroger les valeurs
relatives aux pratiques inclusives d’accompagnement des personnes en situation
de handicap. Elle crispe des résistances aux changements. Le
« hold-up » réalisé sur l’inclusion par des décideurs soucieux avant
tout d’économies produit un effet néfaste d’opposition à l’inclusion.
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