Externalisées ou internalisées ?
Les classes externalisées des établissements médico-sociaux
dans les établissements scolaires constituent une évolution notable dans
l’architecture de la scolarisation des enfants en situation de handicap. Les
premières classes de ce type étaient « délocalisées ». Le terme
désignait bien la chose : bien souvent il s’agissait d’un déménagement des
élèves, des professionnels, des meubles et des outils de l’établissement
spécialisé vers l’établissement ordinaire. Pour ma part, j’ai connu cette expérience
avec des classes d’enfants sourds au début des années 1990.
Il ne s’agissait certes pas d’inclusion telle qu’on la pense aujourd’hui, et l’on ne sentait pas toujours à notre place dans les établissements qui nous accueillaient. Il n’était pas question que ces élèves soient inscrits comme élèves de l’école, ni participent aux apprentissages des autres (ou alors à petite dose et encadrés spécifiquement). Mais c’était une avancée cependant par la mise ne présence, en contact, dans des conditions protégées et encadrées, d’enfants handicapés avec des enfants dits ordinaires.
La qualification « externalisées » pour ces
classes a émergé peu à peu, jusqu’à être officialisée dans les circulaires
traitant des unités d’enseignement. L’injonction est aujourd’hui de multiplier
ces dispositifs, pas seulement au sein des établissements spécialisés, mais de
manière externalisée dans les établissements scolaires. Ils deviennent les
supports d’une plus grande inclusion des élèves et d’une plus grande pratique
inclusive de l’école. Ainsi sont légiférées les UEE, les unités d’enseignement
externalisées, qui contribuent à côté des PIAL, les pôles inclusifs
d’accompagnement localisés, à la scolarisation des enfants handicapés dans la
nouvelle loi sur l’école de la confiance du 28 juillet 2019.
Il est curieux de constater que les unes sont externalisées
et les autres localisés. Pourquoi donc les premières sont-elles externalisées,
et pas simplement localisées ou internalisées ?
Le terme est paradoxal si l’on se place du point de vue des droits
de l’enfant à aller à l’école, du point de vue du système éducatif pour tous.
Le terme le plus approprié aurait été « internalisées ». Cela aurait
manifesté une action, une dynamique d’inclusion d’éléments qui, étant « à
l’extérieur », avaient droit ainsi à entrer dans l’ensemble école. Le mot
aurait signifié l’annulation symbolique de leur place à l’extérieur, de
l’exclusion, de la ségrégation par un accueil vers l’intérieur, vers
l’inclusion, vers la participation sociale.
Au lieu de cela, a été retenu le terme
« externalisées », qui décrit une autre réalité, un autre modèle en
définitive, à défaut de décrire un objectif. Cette réalité est constituée du
fait que ces enfants sont, de fait et peut-être de droit, à l’extérieur du
système pour tous, et à l’intérieur de systèmes spécifiques et ségrégatifs. En
conséquence, la dynamique n’est pas celle de l’inclusion à l’intérieur du
système pour tous, mais celui du déplacement de leurs lieux d’appartenance et
d’identification postulés a priori vers un lieu qui ne serait pas le leur. Ils
sont externalisés de leur lieu (légitime ?) d’origine et d’affectation,
comme on externalise un service dans une entreprise.
Parfois, les mots sont là pour masquer la réalité. Ici, le
vocabulaire dévoile et cautionne une réalité d’exclusion et de ségrégation dans
un discours d’inclusion. Il déclare que ces enfants ne relèvent quand même pas
totalement de l’école, puisqu’ils appartiennent à des institutions desquelles
il faut toutefois les sortir, dont il faut ouvrir les portes en quelque sorte.
Bien sûr, les engagements à multiplier le taux de
scolarisation en UEE des enfants accueillis en établissement spécialisé va dans
le bon sens. Mais il ne faut pas oublier que ces évolutions sont ancrées sur
des immobilismes, validés par des choix lexicaux.
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