" Crise = problème de sous"
Il y a maintenant bien longtemps, environ une vingtaine
d’années, une délégation (dont je ne me souviens pas de la nature) était venue
découvrir et visiter les dispositifs de scolarisation et d’accompagnement à la
scolarisation des jeunes sourds en collège. Il s’agissait en l’occurrence de ce
que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’unité d’enseignement externalisée, où
les jeunes assistaient à un certain nombre de cours dans la classe de collège,
accompagnés par des enseignants spécialisés auprès de jeunes sourds (titulaires
du Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement des jeunes sourds, le
CAPEJS).
Avec la délégation, j’assistai à une séquence de cours d’histoire et géographie, auquel participaient trois ou quatre jeunes sourds, à destination desquels l’enseignant spécialisé « traduisait » en langue des signes. L’enseignant de la classe expliquait à ses jeunes élèves que la crise d e1929 était une crise complexe, qui comportait des aspects financiers, politiques, sociaux, idéologiques, économiques, diplomatiques, etc. Quelle ne fut ma surprise quand je vis l’enseignant spécialisé traduire, en tout et pour tout : « La crise de 1929, égale problème de sous ».
Il peut apparaitre futile ou inutile de rappeler une telle
anecdote, témoin d’un temps qui serait révolu : depuis la reconnaissance
de la langue des signes, les professionnels ont acquis une maîtrise de la
langue des signes telle qu’ils ne transmettent plus de telles réductions
langagières et conceptuelles. Et pourtant, sans renouveler une telle caricature
de « traduction », l’utilisation de la langue des signes dans
l’éducation ou la pédagogie n’est pas sans rappeler quelques phénomènes de
réduction conceptuelle et langagière.
La première situation concerne l’utilisation instrumentale
de la langue des signes dans une visée de facilitation de l’accès à la langue
orale. En effet, un tout jeune enfant sourd ne parvient pas toujours facilement
à atteindre des résultats efficients dans l’acquisition de la langue orale
(lorsque c’est celle-ci qui a fait l’objet du choix des parents). Pour tout
simplement pour rentrer dans la communication et faciliter l’acquisition de la
notion de communication, il est parfois ajouté des éléments de la langue des
signes. Non pas pour que l’enfant sourd s’approprie une modalité langagière (et
de pensée) adaptée à ses caractéristiques fonctionnelles et ses capacités, mais
pour qu’il utilise cette modalité pour entrer dans l’oral. Dans ce contexte, il
n’est pas exigé que les professionnels maîtrisent la langue des signes, mais
seulement qu’ils maîtrisent eux-mêmes quelques éléments essentiels de la
gestualité de la langue des signes (vocabulaire, questions, …). Dans ces
conditions, on retrouve dans le langage adressé à l’enfant les mêmes
réductions.
La seconde situation concerne le choix entre la
pédagogie spécialisée pour jeunes sourds, portée par des enseignants
spécialisés, et l’accessibilité aux discours des enseignants, portée par des
interprètes ou des interfaces en langue des signes. Lorsqu’est privilégiée la
pédagogie spécialisée, on en arrive à tronquer les messages (pas au point
cependant de l’exemple ici), mais le principe reste celui d’une adaptation du
discours à l’état supposé de compréhension de l’élève sourd. Combien de fois
n’ai-je entendu : « Je ne peux pas traduire tel quel, ils ne
comprendraient rien, il faut que j’adapte ». Au risque, inévitable,
d’en arriver à des réductions d’information qui mettent les élèves sourds dans
l’impossibilité d’accéder à l’information qui est proposée à l’ensemble des
élèves. L’accessibilité langagière, au contraire, met les élèves à égalité avec
les autres, qu’ils comprennent ou pas.
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