Sociologie du monde des sourds
Diane BEDOIN, La découverte, 2018
Cet ouvrage, relativement court (128 pages), réussit le pari de présenter un tableau assez complet de la surdité, ou plutôt de la situation vécue par les personnes sourdes. Et ceci dans une approche qui justement ne considère par ces personnes en les réduisant à leur déficience auditive, mais en envisageant la problématique de manière écosystémique, le monde des sourds et les sourds dans le monde.
La plupart du temps, dans les ouvrages sur la surdité, c’est
du point du vue de la déficience qu’est traité le problème, selon une approche
médico-sociale : la déficience auditive reste une maladie. Le schéma
explicatif et heuristique est bien souvent celui-ci : les risques et les
causes ; le diagnostic ; les caractéristiques de la déficience
auditive (de réception, de transmission, le degré de surdité) et les mesures ;
les traitements médicaux et prothétiques ; les conséquences sur le
développement (affectif, langagier, psychologique, …) ; le handicap social
conséquent ; la rééducation (orthophonie) et les traitements sociaux
(choix linguistiques, scolarisation). Rarement sont pris en compte, sauf chez
des auteurs engagés (Mottez, Delaporte, Cuxac, Bouvet, Meynard, Kerbouch et
quelques autres), les faits sociaux de la surdité, avec la vision écosystémique
de la construction singulière du monde et du rapport au monde des personnes
sourdes, avec la langue des signes et la culture sourde.
C’est justement cette dernière perspective qui est
développée par l’auteure, qui n’ignore pas pour autant la factualité de la
déficience auditive et ses différents aspects. Et donc, au lieu d’avoir une
vision réductrice et déficitaire des personnes sourdes, on a ici une vision
dynamique et écosystémique de personnes, ayant une singularité, dans le monde
social dans lequel ils vivent et dans lequel on vit.
L’auteure restitue clairement et synthétiquement l’émergence
récente de cette approche du monde des sourds et l’intérêt de la problématique
dans le monde de la recherche. Cette approche du monde des sourds comme fait
social est récente, liée à la constitution du monde des sourds s’instituant
comme acteur collectif dans les années 1970, en se forgeant, la plupart du
temps dans l’adversité et la militance, une identité linguistique et culturelle
spécifique, en revendiquant les droits qui leur étaient refusés au nom de la
conformité à la norme.
Parmi les facteurs de la construction du monde sourd comme
« communauté », les étapes de la reconnaissance de la langue des
signes (dont la loi de 2005 constitue une étape importante), la visibilité des
sourds dans la société (en particulier à travers l’accessibilité par
l’interprétariat en langue des signes) sont des éléments importants de cette
sociologie du monde des sourds.
C’est pour cette raison que la lecture de cet ouvrage est instructive :
pour ceux qui s’intéressent ou sont concernés par le monde des sourds
(professionnellement ou par intérêt personnel), parmi lesquels il y a encore de
nombreuses personnes qui réduisent la surdité à un problème de déficience
auditive dont il faut réduire les conséquences ; et pour ceux qui
s’intéressent à la manière dont on peut appréhender une population minoritaire
dans la société.
Cette approche va de pair avec une nouvelle manière de
concevoir la place des personnes handicapées dans la société, que l’on trouve
définie par exemple dans la convention internationale (ONU) sur les droits des
personnes handicapées : il ne s’agit plus de considérer les personnes
handicapées du point de vue de leur déficience et de leurs incapacités, mais il
s’agit de les considérer comme sujets de droits et ayant les droits de tout un
chacun.
C’est là que l’on se rend compte de la difficulté de mettre
en œuvre ces droits dans l’éducation des jeunes sourds. En dépit de ce que l’on
peut savoir aujourd’hui sur la sociologie du monde des sourds, l’éducation
bilingue est encore quelque peu stigmatisée, autant par la priorisation
institutionnelle et idéologique de la réponse soignante (diagnostic précoce,
implantation cochléaire, rééducation orthophonique) que par l’absence de
dispositifs pouvant répondre aux besoins et aux droits des enfants sourds,
malgré quelques initiatives tout à fait bienvenues de l’éducation nationale (
programme de langue des signes, pôle d’enseignement pour les jeunes sourds).
C’est dans ce cadre que l’ouvrage de Diane Bedoin peut
contribuer à modifier quelques représentations archaïques de la surdité comme
maladie.
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