Comment produire une absence de solutions ?
Toute institution à tendance à dessiner des frontières en
son sein. C’est ainsi que l’on a vu des institutions médico-sociales mettre des
séparations, bien plus que symboliques, entre jeunes moins handicapés et jeunes
plus handicapés, certaines institutions définir leurs populations dans une même
catégorie par les moins handicapés (un « institut médico éducatif pour
déficients intellectuels légers et moyens »). Des séparations entre jeunes
sourds « normaux, jeunes sourds ayant des difficultés, et jeunes sourds
avec handicaps associés. Ce sont ces frontières qui amènent aussi parfois à
refuser, pour différentes raisons, des jeunes plus handicapés, les laissant
sans solutions. Ce que dénonce le rapport de D. Piveteau « Zéro sans
solution » en 2014.
Une équipe professionnelle restreinte était prête à
l’accueillir, en mettant en place des dispositifs d’intervention qu’ils
n’avaient pourtant jamais expérimentées auparavant, mais considérant qu’il
était de leur mission d’accueillir un tel jeune. Cela exigeait de ces
professionnels qu’ils s’engagent dans des innovations importantes, sans savoir
d’avance complètement ce à quoi ils s’engageaient.
Toutefois l’institution mettait des obstacles. D’autres
professionnels s’y opposaient, même s’il ne leur était rien demandé concernant
cet accompagnement. Différents arguments furent avancés : les
professionnels n’avaient pas la formation pour accompagner de tels enfants, le
risque d’en accueillir d’autres de même type par la suite et par conséquent
d’être concernés, la mauvaise image que cela donnait des sourds dans le lieu où
il pourrait être partiellement présent (le collège), l’insuffisance de moyens
pour l’accompagner, la « mauvaise » image qu’en tirerait
l’institution dédiée à « des handicaps associés », etc. Ces arguments
illustrent la manière dont des frontières intangibles peuvent être mises en
place par les professionnels pour préserver des fonctionnement professionnels
et institutionnels. Comment jugerait-on une école publique (par exemple dans
des zones dites « difficiles ») qui mettrait ainsi des frontières
pour exclure les élèves qui ne correspondent au standard des « élèves
moyens » ?
Mais des responsables de l’institution s’y opposèrent également,
et en particulier au titre de la prévention, et des risques psycho-sociaux. En
effet, fut-il répondu à cette situation, il y avait à craindre que dans
quelques mois, les professionnels engagés dans ce projet viendraient se
plaindre des conditions de l’accompagnement, qu’ils pourraient adresser leurs
plaintes et leurs revendications aux représentants du personnel, et que cela conduirait
à une situation conflictuelle.
Avec cette focalisation sur les risques psycho-sociaux (bien
réels, convenons-en), le piège est de verrouiller toute expérimentation, toute
innovation. La priorité de la prévention fait que l’on n’attend pas que la chose
se produise (c’est la définition même de la prévention), on n’attend pas que
les représentants du personnel s’en saisissent, l’on prend des décisions pour
qu’ils n’aient rien à saisir, afin d’éviter tout conflit, fût-il source de
réflexion et d’action innovante. L’on anticipe le risque par extension.
Pérennisant les situations sans solution.
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