Pourquoi n'inclut-on pas ?
Lorsque l’inclusion d’un enfant handicapé est difficile à
mettre en œuvre, voire impossible ou refusée, la plupart du temps on invoque
des raisons qui ont trait aux caractéristiques de l’élève en question :
trop handicapé, ou tout simplement handicapé, trop en retard scolaire, pas
assez le niveau requis, trop d’adaptations à faire, trop inapte au
fonctionnement scolaire. Si tel élève ne peut pas être inclus dans
l’établissement, dans la classe, même partiellement ou accompagné par un
professionnel, c’est, argumente-t-on, parce qu’il y a un écart, parfois
important, en capacités, en compétences, en acquis, en niveau, entre l’élève
« handicapé » et l’élève « normal », c’est-à-dire souvent
« moyen ».A ces raisons, se rajoute parfois l’argument que les
enfants handicapés sont mieux entre eux, que c’est ainsi plus facile pour eux,
et qu’il leur faut, quasiment 24/24 h, des spécialistes. Rarement, on évoque
les raisons qui ont trait au fonctionnement de l’école, sauf en termes de
moyens.
La première raison tient à l’histoire des
« mentalités », au regard historiquement posé sur les personnes en
situation de handicap. Celles-ci en effet n’étaient pas des personnes qui
rencontraient des situations handicapantes, mais étaient avant tout des
personnes déficientes, handicapées. Au titre de leur déficience, c’est-à-dire
de leur non-intégrité au regard des personnes dites normales, elles étaient
naturellement situées à la marge de la société. Si elles devaient appartenir à
cette société, elles devaient d’abord tenter de rejoindre les normes de la
société ordinaire. Pour cela, la réadaptation, la rééducation, l’éducation
spécialisée, la vie en institution, ont été les moyens utilisés par la société
pour tenter de remettre les personnes ayant des déficiences dans la société. Les
personnes handicapées qui parvenaient à surmonter leur handicap, soit parce
qu’elles avaient été bien rééduquées, soit parce qu’elles avaient pu faire les
efforts nécessaires exigés (les handicapés étaient censés devoir en faire
plus), pouvaient à ce moment-là prétendre à la participation sociale dans leurs
environnements.
Aujourd’hui encore, cette approche idéologique a encore cours,
sous des formes certes moins violentes : en témoignent par exemple la
force de la rééducation, l’exclusion légitimée de certains élèves en raison de
leurs caractéristiques personnelles liées à la déficience ou à leur trouble, ou
encore toutes les ségrégations que l’on peut observer.
La deuxième raison est plus contemporaine : c’est
l’idéologie qui veut que chacun doit être son propre manager, l’entrepreneur de
lui-même. Dans ce contexte, s’il y en a qui n’y arrivent pas, c’est qu’ils
n’ont pas les dispositions personnelles nécessaires, ou qu’ils ne font pas
suffisamment d’efforts pour participer au monde qui bouge. Ils deviennent
ainsi, « naturellement », dans une nouvelle idéologie existentielle,
leurs propres fossoyeurs. A entendre les discours sur les SDF qui restent
volontairement dans la rue, les chômeurs qui ne font pas d’efforts pour
chercher du travail, les travailleurs mal insérés parce qu’ils ont peur de
prendre des risques, on ne peut s’étonner de la discrimination tolérée à
l’école pour des élèves qui ne parviennent pas à suivre le mouvement, à
réussir, en raison de leurs propres caractéristiques. Les élèves handicapés
font parfois partie de ces catégories ostracisées, et dans ces conditions,
l’inclusion est difficilement conceptualisable.
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