"On les connait bien quand même ! "
Alors qu’il s’agissait de préparer un projet d’inclusion
pour quelques jeunes adolescents « dysphasiques » dans les classes
d’un collège, lors d’un débat difficile qui voyait la majorité des
professionnels s’opposer à leur responsable et à quelques professionnels
minoritaires, la conclusion définitive de l’impossibilité de l’inclusion vint
du propos irrévocable et infaillible d’un professionnel : « Mais
enfin, on les connait bien quand même ! Ils ne peuvent pas aller en
inclusion. ». Il faisait valoir par ce propos cette vérité au nom de sa
proximité quotidienne auprès de ces jeunes, face à d’autres professionnels ne
les connaissant pas (les enseignants du collège) ou les connaissant moins
(d’autres professionnels, le chef de service).
Dans cette situation, comme en bien d’autres, pour les
professionnels qui ont à accompagner (enseigner, éduquer, soigner) les enfants
dans les services médico-sociaux, l’utilisation de cette formule revêt un
caractère magique en quelque sorte. Dès lors qu’il s’agit de faire sortir ces
jeunes du milieu protégé de l’institution, et donc de les faire prendre les
« risques » d’être avec tout le monde, ces professionnels sortent le
panneau STOP : cette hypothèse est impossible, en témoigne la connaissance
qu’en ont ces professionnels. Nul doute que ces professionnels connaissent ces
enfants : ils partagent quotidiennement leur vie dans la classe (et
d’autant plus qu’ils n’ont à connaitre en général que des petits groupes
d’élèves), ils connaissent également leurs caractéristiques, leur
« nature » (troubles, déficiences, incapacités pathologies), ils sont
à leur écoute, ils partagent des confidences, etc.
Mais, comme le dit Edgar Morin, dans toute connaissance
(compréhension), il y a ignorance (incompréhension). Et cette connaissance
affichée contient en elle-même de l’ignorance. Cette connaissance, théorique et
pratique, est construite dans un paradigme, celui de la détermination des
caractéristiques (de la nature) d’un sujet à partir de l’une des
caractéristiques du sujet, à savoir la déficience et le trouble, et de tout ce
qui lui est rattaché. Un enfant qui a une déficience ou un trouble est un
enfant handicapé, et à ce titre il est vulnérable, il fait difficilement des
acquisitions, il risque d’être en souffrance avec des « normaux »,
etc. Un enfant handicapé est celui qui est défini comme tel (et d’ailleurs,
« on le connait bien quand même !) avec ses incapacités, ses
caractéristiques d’attitudes, de comportements et de sentiments, ses capacités
aussi parfois, son type de réactions, ses (im)possibilités d’apprentissages
(« il est dysphasique, donc il ne pourra pas apprendre ceci ou
cela »), ses limites, etc.
Oui mais il s’agit typiquement d’une fausse
connaissance : rien ne permet d’indiquer que la nature de la déficience
détermine la nature de l’être d’une personne, ni ses possibilités ni ses
ressources. Combien n’a-t-on vu des pronostics déjoués, d’impasses promises à
de jeunes handicapés mais qu’ils ont pu surmonter ? Dans ce contexte, on
peut même dire qu’il y a usurpation de connaissance, excluant de ce fait ces
enfants d’une expérience qui peut être bénéfique (et conforme au droit de ces
élèves d’être avec les autres), les cantonnant à être toujours dans ce à quoi
les destinent des professionnels prétendant savoir.
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