L'inflation thérapeutique
Dans le secteur médico-social, on soigne, on soigne même
beaucoup, bien avant de se préoccuper du « social », quand ce n’est
pas le social qui prend la forme du soin. Les dysfonctionnements, les
difficultés, les problèmes d’une personne qui a le statut
(« l’étiquette ») de handicapé sont qualifiés la plupart du temps de
pathologie caractéristique de la personne ayant une déficience. Là où un enfant
qui n’est pas en situation de handicap rencontre une difficulté ou un problème
(d’apprentissage, de développement, de relation, de communication, etc.), un
enfant handicapé a des pathologies. Quand un enfant « ordinaire » a
du mal à lacer ses lacets, à tenir l’équilibre sur une poutre, ces mêmes
phénomènes entrent dans le « syndrome » d’un enfant dysphasique ou
dyslexique.
Au-delà de ces caractéristiques psychiques récurrentes dans
la culture médico-sociale, c’est tout le système de représentation qui repose
sur l’approche pathologique en raison de l’existence d’une déficience ou d’un
trouble, et des incapacités observées en raison de cette déficience ou de ce
trouble. L’ensemble des phénomènes de la vie de la personne est vue à travers
le filtre des réponses soignantes à une pathologie.
C’est ce qui explique la densité des réponses
thérapeutiques, qui se manifeste d’une part par la croissance importante des
professionnels soignants (en nombre et en diversité) dans les établissements
(complétant, voire suppléant, les réponses sociales, éducatives ou
pédagogiques), d’autre par l’inflation des réponses qui s’arrogent les
caractéristiques de thérapie. Nulle part ailleurs que dans le secteur
médico-social ne sont suivis autant d’enfants par des thérapeutes, dont les
psychologues. Nulle part ailleurs il n’y a de tant de propositions de
musico-thérapie, d’art-thérapie, d’équi-thérapie, de cani-thérapie, etc.
La conséquence malheureuse de cette situation est qu’il n’y
a guère de place pour une approche éco-systémique de la personne. Une attitude,
un comportement, une difficulté, ne sont pas par nature des problèmes qui
attendent des réponses thérapeutiques condamnant la personne à être réduite à
sa déficience, ses incapacités et son statut de « patient ». Les
réponses plus « sociales » sont ou ignorées, ou minorées. Il y a
aussi beaucoup moins de place pour effectuer les apprentissages sociaux (ou
scolaires) qui sont attendus des enfants du même âge. Quand on privilégie le
temps du soin, considéré « arbitrairement » dans la culture médico-sociale,
comme premier, on a tendance à ignorer les autres facteurs de production du
handicap.
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