Le garçon qui bave au collège
Il était question d’accueillir, pour la prochaine rentrée
scolaire, dans un dispositif d’unité d’enseignement externalisé dans un
collège, Christian, un jeune garçon, qui outre une déficience auditive
importante présentait ce que l’on nomme des handicaps associés, et qui en
l’occurrence présentait une problématique de déficience physique : entre
autres capacités ou incapacités, il ne pouvait contrôler sa déglutition ;
par conséquent, il bavait, et il lui fallait une assistance pour le nourrir sur
les temps de repas.
En effet, l’équipe médico-sociale, préoccupée à juste titre
de la vulnérabilité de la situation de ce jeune garçon, ainsi que de celle de
la population de jeunes sourds avec des situations complexes de handicap
(handicaps associés), vit dans cette situation le risque de souffrance de
Christian, en raison du regard des collégiens, qu’ils anticipaient, sans doute
avec raison, comme désapprobateur, moqueur, excluant, discriminant, harcelant,
intolérant, etc
.
La tentation aurait pu être grande (ce fut d’ailleurs la
préconisation de nombreux professionnels) d’agir afin de soustraire la personne
à cette violence du regard, à cette souffrance conséquente, en soustrayant le
garçon à ces regards : plus de regards, plus de souffrance. Et de laisser
par conséquent se perpétuer ce type de rapports sociaux, dont sont victimes
bien d’autres collégiens, et dont une des formes se manifeste dans de nombreux
cas de harcèlement scolaire. Mais cette action « bonne », est aussi
une action de discrimination. Dans ces conditions, il faudrait aussi se préoccuper
de la souffrance de tous ceux qui sont en écart avec les normes de
représentation et les écarter du regard des autres. Faudrait-il extraire du
regard des « normaux » en extrayant de la collectivité ce garçon qui
bave, cet aveugle avec une canne, ce sourd qui gestue, ce garçon obèse, cette
fille « moche » ?
Si l’on pense que ce garçon, qui bave et qu’on doit nourrir
à la restauration scolaire, a DROIT à être au collège, l’action médico-sociale,
si elle a lieu d’être, devrait consister, non à soustraire cet élève pour le
mettre ailleurs, mais à affirmer le droit de sa présence dans une institution
pour tous, et par conséquent de créer avec le collège les conditions d’un bon
accueil de ce garçon au sein de la communauté scolaire. On se satisfait trop vite
de la mise en sécurité, en réalité une mise au placard, en enclos, derrière le
mur, de ces enfants aux corps différents, laissant s’instituer des systèmes de
discrimination et de ségrégation, perpétuant, y compris dans les
représentations des enseignants, que ce « type » d’enfants n’a pas sa
place au collège.
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