Synopsis pour harcèlement
Dans les témoignages que l’on peut lire ou voir dans la
presse et dans l’édition sur des faits de harcèlement au collège, on peut
facilement identifier une espèce de trame commune dont le synopsis ressemblerait
à ceci (synopsis reconstitué d’après plusieurs témoignages de la presse), qui vaut aussi pour le harcèlement en milieu professionnel.
Une jeune fille, appelons-la Julie, arrive dans son nouveau
collège en 4ième, ses parents ayant déménagé pendant l’été. Dès le
premier matin, à son arrivée, un petit groupe de garçons et filles l’apostrophe.
Pour quelles raisons ?
Mais sur la cour de récréation, alors que Julie est toujours
avec ses copines, les voilà qui reviennent, plus nombreux cette fois. Commencent
les moqueries, les questions et remarques insidieuses, etc… et les deux copines
qui s’éloignent de la scène. Puis, de jour en jour, aux portes de collège, dans
les temps sociaux, les choses continuent, de pire en pire. Pour survivre quand
même dans les relations sociales, elle donne son compte Facebook à une ou deux
copines, qui ouvrent le réseau. Et commencent à pleuvoir les insultes ; ce
sont rapidement 10 puis 20, puis 50 collégiens qui la harcèlent, diffusent des
calomnies sur son compte, la transformant en bouc émissaire. Tout cela, elle le
garde pour elle, elle n’en parle à personne.
Un jour, ne se contenant plus, elle balance son cartable à
la tête d’un des harceleurs qu’elle a identifié et se bagarre avec lui. Bien
entendu, il s’agit là d’un acte répréhensible, et elle est convoquée à un
conseil éducatif. Tout le monde étant dans l’ignorance de la situation qu’elle
vivait, et n’osant pas en faire part pendant cette rencontre devant l’assemblée
présente, Julie reçut une réprimande, elle fut sanctionnée comme coupable d’une
agression, pendant que son harceleur, identifié comme victime, recevait les
excuses écrites de Julie.
Elle finit par se confier à ses parents, qui choisissent de
déménager dans une autre ville. Julie finit son parcours de collège dans de
bonnes conditions, sans être harcelée, entre au lycée, se fait des ami-e-s,
mais déclare-t-elle, est marquée à jamais par son expérience au collège.
Le harcèlement en milieu professionnel, existe, c’est une
évidence aujourd’hui, après avoir été nié pendant longtemps. Pas simplement
celui qui est qualifié comme tel par la justice et qui seul ouvrirait le droit
d’en parler ; pas simplement celui d’un supérieur vers un subordonné, bien
connu aujourd’hui, ou encore le harcèlement sexuel, mieux connu aussi
aujourd’hui ; mais aussi le harcèlement entre collègues, ou d’un
subordonné (ou aussi souvent d’un groupe de subordonnés) envers un responsable
hiérarchique : ceux-ci sont moins publicisés, voire sont quelquefois
niés ; ils n’en existent pas moins. On peut trouver à ces différentes
formes de harcèlement des analogies avec l’exemple du harcèlement de Julie la
collégienne.
Le harcèlement trouve son origine lors d’un évènement :
l’arrivée d’un nouveau professionnel dans une équipe, un changement d’équipe,
le changement d’un cadre hiérarchique. Les personnes qui vont s’organiser
inconsciemment pour harceler quelqu’un ne se sont pas la plupart du temps
manifestées explicitement comme harceleuses auparavant. C’est à l’occasion d’un
évènement qu’une « personnalité harceleuse » peut se manifester et
s’appuyer sur l’environnement humain qui l’entoure pour mettre en œuvre un
comportement harceleur.
Les raisons qui fondent la réaction de harcèlement sont
souvent de l’ordre de l’incertitude, sauf en ce qui concerne le harcèlement
sexuel et sexiste. Dans certaines autres situations, il est difficile de savoir
pourquoi une personne ou un groupe de personnes se met soudainement à faire
d’une autre personne (un collègue, un responsable hiérarchique) un bouc
émissaire.
Pour autant, cette personne harceleuse (ou ce groupe de
personnes) va s’efforcer de trouver une légitimité aux attitudes qu’il adopte,
faisant de la personne victime la personne coupable d’une certaine
manière : cette personne est désagréable, elle ne fait pas ou ne pense pas
comme les autres, elle n’écoute pas, elle est indépendante, etc… La personne
harceleuse va rechercher des circonstances justifiant sa propre réaction dans
les attitudes, les comportements ou les discours de la personne sur laquelle
elle va porter son action.
Ceci va permettre à la personne harceleuse, ou au groupe
harceleur de renverser les rôles : ils vont se présenter comme victimes de
la personne qu’ils sont en train de harceler (ce qui ne se manifeste pas dans
le cas de Julie ci-dessus) La situation la plus caractéristique dans ce domaine
est le harcèlement d’un groupe ou d’une équipe sur un responsable hiérarchique :
celui-ci va être doté de tous les défauts (absence d’écoute, autoritarisme,
manque de respect, manque de confiance, etc…), alors même qu’ils ne sont pas
objectivés mais font l’objet d’un discours permanent et récurrent de ressenti,
d’un « storytelling » comme
on le dit aujourd’hui.
Le harcèlement trouve son apogée dans la généralisation de
la défiance envers la personne harcelée. Alors même que des professionnels
n’ont aucun rapport de travail avec la personne harcelée, son image de personne
harcelable, et pour de légitimes raisons, lui est attachée et la qualifie
définitivement. Même s’il n’y a pas harcèlement général, il y a défiance,
éloignement, isolation, solitude. Dans ce contexte, il ne peut même plus y
avoir alliance avec d’autres professionnels (les copines de Julie s’éloignent),
ceux-ci prenant alors le risque, dans le climat dominant de défiance, de se
marginaliser eux-mêmes, voire être victimes de la contagion du harcèlement.
La personne harcelée se met inévitablement dans des
impasses. Soit elle garde honteusement son secret dans son entourage
professionnel et personnel, ce qui génère de la souffrance, et peut aller
jusqu’à des arrêts de travail, voire une impossibilité de poursuivre son
activité professionnelle. Soit elle réagit (comme Julie avec son cartable !),
comme en opération de survie : manifestations d’agacements, attitudes
d’énervements, colères, réactions vives, etc… Mais c’est aussi une impasse, car
là est justement ce qui pourrait donner des raisons à la recherche de
légitimité du harcèlement : « vous voyez bien qu’on avait raison de
se méfier de lui-elle ; il-elle est bien comme on l’avait dit ! »
Et enfin dernier point : l’ignorance, l’aveuglement ou
la lâcheté des organisations. Alors même que les organisations ont du mal à
considérer comme réels les harcèlements évidents (hiérarchiques, sexuels), ces
modalités de harcèlement (de collègue à collègue ou de professionnel à
responsable hiérarchique) sont la plupart du temps délibérément ignorées. Et
dans ce genre de situation, elles font incomber la plupart du temps la
responsabilité à la personne harcelée, et en particulier lorsqu’il s’agit de
harcèlement de groupe. C’est souvent la personne harcelée qui se retrouve avec
la responsabilité de sa situation : elle est trop ceci, pas assez cela,
etc. Avec comme conséquence le meurtre symbolique de la personne harcelée et le
quitus accordé aux personnes qui harcèlent et la possibilité de reproduire la
situation au détriment de nouveaux professionnels.
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