Quand perdure la déficience ...
Le discours sociétal affirme consensuellement mais avec
force un changement de paradigme de pensée et d’action concernant les personnes
en situation handicap. Avec la loi du 11 février 2005 et la nouvelle définition
du handicap, ce qui faisait la « définition » des personnes
concernées, à savoir la déficience (ou le trouble, ou la maladie) et les
incapacités conséquentes, s’élargit à des facteurs environnementaux et
personnels, l’ensemble étant en mesure de caractériser des situations de
participation sociale de ces personnes, ainsi que les situations de handicap
qu’elles pouvaient rencontrer. Que devient dans ce contexte la
déficience ?
Il faut certes la prendre en compte, ainsi que les
incapacités conséquentes, tant en ce qui concerne les actions à mener
(prévention, « traitement », compensation, éducation, rééducation…)
qu’en ce qui concerne l’ouverture administrative de droits, puisque la
situation de handicap et le statut de personne handicapée sont attachés à
l’existence d’une déficience, d’un trouble ou d’une maladie.
Mais il apparait que la déficience définit encore de manière
principale la personne, résurgence de la pensée bio-médicale et normative qui
définissait auparavant les personnes en situation de handicap. Là où l’on
convient de définir une situation de handicap comme le résultat d’une
interaction entre une personne (avec sa déficience, ses capacités, ses
incapacités) et un environnement qui présente des facilitateurs ou des obstacles,
dans les faits, on pense encore souvent la situation comme exclusivement
attachée aux caractéristiques de la personne, sans prendre en compte que la
situation de handicap peut se réduire par une modification de l’environnement.
La porte d’entrée, en particulier administrative (ou technocratique, ou
bureaucratique) reste fixée sur la déficience comme déterminant catégoriel de
l’action, par exemple sociale et médico-sociale.
Un décret, le décret
n° 2017-982 (JO du 11 mai 2017) relatif à la nomenclature des établissements et
services sociaux et médico-sociaux accompagnant des personnes handicapées ou
malades chroniques, réaffirme cette primauté de la déficience dans
l’organisation politique du secteur. Toutes les catégories d’établissements et
services sont référencées sur les catégories de déficiences. Il faut bien,
dira-t-on, catégoriser afin d’avoir une lisibilité de l’action et de
l’organisation médico-sociale (l’objectif est explicitement d’avoir une nomenclature
simplifiée). Mais les mots utilisés ne sont pas neutres, ils désignent des
« choses », ils découpent la réalité en concepts, et ils finissent
par définir et caractériser des réalités sociales.
Ainsi par exemple, pour la déficience auditive, les CROP (Centre
de Rééducation de l’Ouïe et de la Parole) deviendront des IDA, des Instituts
pour Déficients Auditifs. (pour ce qui concerne les CROP, en définitive on ne
change pas de modèle) ; mais aussi les IJS (Instituts pour Jeunes Sourds)
ou les IES (Instituts d’Education sensorielle) deviendront également des IDA.
L’univocité du rappel à la déficience risque d’avoir pour effet, en particulier
chez les acteurs professionnels concernés du secteur médico-social de ratifier
l’approche défectologique et réparatrice de laquelle ils avaient déjà bien du
mal à s’extraire.
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