"On ne peut pas se spécialiser en tout ..."
C’est cette réflexion qui vient souvent ponctuer, en
désespoir de cause, les propos des enseignants qui veulent bien inclure, mais
qui se sentent impuissants devant le mur qui se dresse devant eux et qui les
empêchent de mettre en acte leur bonne volonté : la spécialisation.
« Cette année je vais avoir un sourd, il va falloir que je me mette à la
langue des signes, l’an prochain ce sera un aveugle et ce sera le braille, et
après encore un enfant handicapé moteur et un qui a des troubles de langage. On
n’en finit pas. C’est pas sérieux l’inclusion, on ne peut pas être spécialistes
en tout ! »
C’est vrai, un enseignant « ordinaire » ne peut se
spécialiser en tout, dans chacun des handicaps ou des déficiences vécus par
leurs élèves. Il ne peut apprendre la langue des signes pour enseigner les
mathématiques et la lecture à des enfants sourds qui ont besoin de langue des
signes. Il ne peut en même temps maîtriser le braille pour l’enseigner à un
enfant aveugle. Il ne peut …
Mais au fait, que ne peut-il pas encore maîtriser ?
Est-on sûr que c’est vraiment de la pédagogie spécialisée, celle qui est
adressée à des enfants qui ont des troubles des apprentissages, ou n’est-ce pas
plutôt une attention particulière, dont bénéficieraient d’ailleurs bien
d’autres élèves en difficultés mais non handicapés ? Dans le même ordre
d’idées, est-ce bien de la pédagogie spécialisée que celle qui est adressée à
des enfants qui ont une déficience motrice ? N’est-ce pas plutôt que cette
pédagogie en oeuvre n’est qualifiée de spécialisée que parce qu’elle est
utilisée avec des catégories de population regroupées, et non parce qu’elle
aurait des caractéristiques spécifiques de contenus et de méthodologies ?
J’ai montré dans un article (Les « dys » relèvent-ils d’une éducation spécialisée ?
Revue Empan, n° 101, mars 2016), que nombre des préconisations pédagogiques
pour ces élèves étaient des actes pédagogiques « ordinaires ». Et je
connais des pédagogies actives dans des classes de 25 élèves, dont certains
parfois en situation de handicap, bien plus efficientes que des pédagogies
spécialisées « inactives » en raison du manque d’ambition sur les
contenus et de la durée de leur présentation (sous prétexte de spécialisation
ou d’adaptation à ce qui est supposé être le cerveau de l’élève !). Et, en
allant plus loin : un enseignement en langue des signes est-il un
enseignement spécialisé ? Dans ces conditions, pourquoi un enseignement en
breton ne serait-il pas un enseignement spécialisé ?
Il y a certes peut-être des domaines irréductibles, comme
par exemple la question de savoir comment faire le lien entre la langue des
signes et l’apprentissage de la lecture écriture du français. Mais ces domaines
ne sont pas nombreux.
A cette enseignante qui déplorait qu’elle ne pouvait se
spécialiser en tout, j’aurais envie de répondre : « Surtout
pas ! », mais lui dire de se préoccuper d’avoir une pédagogie ouverte
à tous. Lui dire qu’elle est compétente pour les cerveaux humains, même de ceux
qui ont une maladie, une déficience ou un trouble. Que ce n’est surtout pas
ceux-ci qui déterminent comment les enfants vont apprendre. Et qu’elle sache
solliciter des aides techniques et humaines (dont par exemples les interprètes
ou interfaces en langue des signes) qui puissent lui venir en aide.
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