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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

vendredi 18 octobre 2024

projets et perte de sens

Projets et perte de sens

 On pourrait penser que les qualités de travail peuvent se mesurer à l’aune des capacités des professionnels à penser et mettre en œuvre des projets d’accompagnement des usagers. Formulée de cette manière, cette assertion témoigne d’une réalité tangible. Mais dans le même temps, les choses ne sont pas aussi simples. Les projets sont relativement standardisés dans leur forme (rédaction par type d’objectifs atteignables et mesurables, moyens disponibles identifiés, etc.), ce qui ne laisse pas beaucoup de part à la créativité professionnelle des acteurs (et peut-être pas non plus à une véritable expression des personnes concernées). Et surtout ils sont issus d’un mode de pensée auquel les professionnels n’ont pas contribué. Les référentiels de bonnes pratiques, instituées incidemment en normes (jamais formellement obligatoires, mais socialement et institutionnellement souvent rendues obligatoires) sont issus d’agences lointaines, et aussi justes que puissent être ces pratiques, elles ne peuvent se présenter que comme objet d’adhésion et d’appropriation hétéronome aux professionnels.

Quand la réalisation des projets personnalisés n’est pas l’application de bonnes pratiques, elle constitue, en termes de qualité, la concrétisation d’objectifs du projet d’établissement, dans le cadre de sa conformité aux normes ou aux réglementations relatives aux politiques publiques de la mission des établissements. Même lorsque le projet d’établissement est issu d’une démarche participative, il ne faut pas se faire d’illusion, il s’agit avant tout plus d’une modalité d’adhésion des professionnels au projet associatif ou d’établissement, lui-même contraint dans la mise en œuvre des politiques publiques, que d’une co-construction de ce projet d’établissement. Là encore le rapport au projet est hétéronome, sauf à considérer que la « servitude volontaire » est une alternative.

L’illustre bien la mise en œuvre du projet SERAFIN-PH, dont l’objectif premier est avant tout un objectif de tarification (tout à fait pertinent au demeurant) identifié par des fonctions de gestion et logistiques, auxquels sont articulés des éléments de besoins et des éléments de prestations, listés dans des nomenclatures. La conception d’un projet personnalisé, basé sur les besoins identifiés par et avec la personne, fait piètre figure face aux impératifs de l’organisation des prestations, des contraintes de l’organisation et des limites des ressources. Il s’agira autant d’être « au service de la personne » et de son émancipation qu’à se conformer (et à se soumettre) aux nouvelles pratiques d’organisation de l’accompagnement.

De nombreux professionnels engagent pourtant un véritable investissement dans les différents moments de l’élaboration de ces projets d’accompagnement. De la préoccupation de connaitre les besoins et les demandes des usagers à la recherche d’objectifs identifiables et mesurables, de nombreux professionnels ont radicalement modifié leurs pratiques professionnelles. Mais parfois il ne s’agit que de modifications de surface. Lorsqu’il s’agit d’abord et avant tout de se conformer à des protocoles et des recommandations de plus en plus nombreux, le sens de l’accompagnement ou de la « relations clinique » disparait bien souvent. Le cadre rédactionnel imposé, dont la réalisation devient un objectif professionnel, devient un refuge fermant la porte à la liberté de pensée et d’action, à la créativité professionnelle, que l’on observe dans l’homogénéité de la rédaction des projets d’accompagnement.

Les témoignages de professionnels en burn-out dévoilent à ce niveau l’ampleur de l’écart entre le point de vue institutionnel, qu’il soit préoccupé de bonne gestion, de qualité, de participation, d’évaluation et de performance, conforme à la demande politique et sociale et l’accompagnement de terrain dans la clinique quotidienne et le sens à donner à leur travail par les professionnels. « Disons qu’on l’on ne me demande plus de réfléchir, d’improviser, de prendre des risques, de débattre, d’échanger, d’inventer, de prendre des initiatives, mais juste d’écrire des projets que personne ne lit, que nous n’arrivons pas à mettre en œuvre » témoigne ainsi un professionnel (dans un ouvrage de F Ben Mrad, Burn-out et travail social, L’Harmattan, 2017).

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