Bien faire son travail
Quelle autre valeur serait davantage partagée que celle-ci : « bien faire son travail » ? Partagée par les professionnels de terrain, par les cadres et dirigeants, par les acteurs décisionnaires et de mise en œuvre des politiques publiques. Partagée certes sur le plan formel et langagier (signifiant) ; moins partagée, voire objet de tensions et de contradictions sur le plan sémantique et de signification (signifié et référent). Car quoiqu’en fasse apparaitre une vision naïve (ou manipulatrice), bien faire son travail n’a pas le même contenu selon la position que l’on tient dans l’organisation de l’accompagnement des personnes.
Quelques enquêtes
de terrain ont mis en évidence les écarts de compréhension de ce concept dans
plusieurs domaines d’activités : dans les crèches (Gastaldi D. et Périsse
M., Le prix du berceau, Seui, 2023) ; dans les EHPAD (Castenet V., Les
fossoyeurs, Fayard, 2022) ; dans les ESAT (Petit T., Handicap à
vendre, Les Arènes, 2022), dans l’aide à domicile (rapport parlementaire
de Ruffin F. et Bonnel B. sur les métiers du lien, 2020). L’organisation du
travail du soin et d’accompagnement dans les hôpitaux témoigne tout autant de
ces écarts d’attribution de sens quand il s’agit de bien faire son travail. De
toute évidence, entre les professionnels de terrain et
« l’encadrement », on ne parle bien souvent pas de la même chose.
Dans tous ces
métiers de lien (ou du care), pour les professionnels de terrain, bien
faire son travail, c’est se préoccuper de la personne, c’est avoir pour
objectif et pour pratique la qualité de vie de la personne accompagnée : être
attentif à la relation et la communication établies, être à l’écoute,
bienveillant, favoriser les situations et conditions de vie, la participation
sociale, l’autodétermination, le développement… A l’opposé, et cela se voit
particulièrement dans le secteur privé lucratif de ces secteurs, bien faire son
travail, c’est optimiser le profit, le retour sur investissement des
actionnaires et investisseurs, avec des priorisations de pratiques qui vont à
l’encontre des pratiques de bon travail des professionnels : faire vite,
minuter les interventions selon des normes prédéfinies, augmenter les charges
de travail de chacun·e pour faire des économies de personnel, contrôler le
travail de chacun·e… C’est ainsi que dans une crèche, le change de la couche
c’est 3 minutes, dans l’aide à domicile l’accompagnement au repas de 15 minutes ;
dans les EHPAD, c’est du personnel manquant non remplacé, des quantités de
repas diminuées ; dans les ESAT, c’est une pression sur la productivité.
Si dans le secteur non lucratif, on ne trouve pas directement la pression sur
le profit, c’est la pression de l’efficience, sur le modèle lucratif, qui
devient hégémonique.
En effet,
l’idéologie « néolibérale » de la prédominance de la gestion et des
bons modèles de gestion dans la conduite des activités d’une organisation met
aujourd’hui une pression importante sur les contenus des pratiques, en
priorisant les critères de gestion (économie des coûts et des ressources,
efficience, … et contrôles). Répondant parfois, avec enthousiasme ou avec
réticences, à ces injonctions, les directions et l’encadrement se trouvent
souvent en porte-à-faux avec les valeurs et les pratiques professionnelles qui
considèrent le bien faire son travail d’une autre manière.
Si ce n’est pas
toujours le profit qui est à la clé, ce sont les mêmes principes qui président
au fonctionnement, en conformité avec cette idéologie du new management
public qui s’est installée depuis une trentaine d’année. Cela n’empêche pas
celle-ci d’invoquer les valeurs dont se prévalent les professionnels de terrain
pour bien faire leur travail : bienveillance, respect, etc… En réalité le
résultat de ces écarts se paye en maltraitance des personnes concernées. Bien
faire son travail pour un manager se paye par le sentiment (et la réalité) de
mal faire son travail pour les autres. Le bon travail des uns est contrarié ou
empêché par le bon travail des autres.
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