L'école inclusive comme réalité alternative
Le langage désigne, nomme et qualifie le réel. Mais il sert aussi à masquer et oblitérer le réel, en créant une réalité alternative. George Orwell a magnifiquement illustré ce phénomène dans son roman 1984 (publié en 1949), avec ce résumé de communication dans la formule, mot d’ordre et slogan : « La liberté, c’est l’esclavage ! ». De manière similaire, le discours politique public désigne une situation, où l’exclusion de l’école (refus, défaut d’adaptation, stigmatisation, ségrégation) de nombre d’enfants handicapés est monnaie courante, sous les termes inclusion ou école inclusive. Il crée ainsi une réalité alternative d’une école inclusive, à l’exact opposé de ce qui se passe véritablement : l’inclusion, c’est l’exclusion !
Mais le langage
politique public n’a pas d’autre solution que de créer par le langage une
réalité alternative. En effet, la politique éducative développée depuis
maintenant de nombreuses années, à quelques exceptions près, est une politique
qui va à l’encontre des pratiques inclusives, dont la dernière illustration se
trouve dans les économies de moyens qui l’affecte afin de préserver l’avenir
budgétaire du pays. C’est l’ensemble du système qui fonctionne de manière non
inclusive, concernant l’ensemble de la population scolarisée, et pas seulement concernant
les enfants en situation de handicap.
La ségrégation
choisie (avec le développement favorisé de l’enseignement privé, ou la maitrise
de l’orientation et des filières) ou géographique (sur les cartes scolaires de
l’habitat de catégories d’habitants et de populations) instaure des
établissements scolaires de nature différente, des établissements de réussite
et des établissements de l’échec relativement aux normes exigées. Les moyens
mis en œuvre accentuent ces différences, comme l’ont mis en exergue les
« maladresses » d’une éphémère ministre de l’Education nationale :
les moyens et les ressources ne manquent pas pour les établissements
privilégiés (ressources financées et investissements, absences systématiquement
remplacées) quand des établissements « ordinaires » ou de zones
défavorisées voient des fuites d’eau dans les plafonds et attendent en vain,
pendant des semaines ou des mois, des remplaçants. Une école inclusive,
c’est-à-dire une école qui accueille tous les enfants avec la même qualité et la
même volonté de réussite, ne pourrait souffrir une telle situation. C’est
pourtant cette situation qui est qualifiée par le discours politique d’école
inclusive, présentant celle-ci comme une réalité alternative de l’égalité des
chances et des conditions de scolarité.
Par ailleurs,
cette réalité alternative est faite d’une autre manipulation. En ne parlant
d’inclusion que pour les seuls enfants handicapés, le discours bannit la nature
même et le principe d’une éducation inclusive. Il fait croire que l’école se
préoccupe des élèves qui rencontrent des difficultés, mais en ne visant que ceux
qui sont objectivement ciblés comme rencontrant des obstacles en raison de
leurs caractéristiques physiques ou psychiques, et dont la préoccupation
politique ne peut se dispenser. En faisant mine de s’occuper des enfants
handicapés, la politique éducative feint une école inclusive pour tous. Les
insuffisances manifestes et les barrières mises à la scolarisation de tous, et
partant des enfants en situation de handicap, disparaissent derrière
l’utilisation de la qualification inclusive, et masquent l’indigence et les
mesures discriminatoires envers diverses populations d’élèves.
A lire et entendre
le discours politique dominant, on serait déjà dans une école inclusive, quand
les expériences scolaires des élèves en situation de handicap sont celles de
l’exclusion, de la discrimination, de la ségrégation. C’est là le propre d’une
réalité alternative promue dans le discours, qui attribue à tel ou tel terme un
sens manifestement éloigné du monde vécu, afin de doter celui-ci d’une
signification qui le présente favorablement. En changeant le sens des mots, en
masquant le réel et en créant une réalité alternative.
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