Pour en finir avec les (fausses) situations de handicap
La formulation « personne en situation de
handicap » semble avoir eu gain de cause, et supplante progressivement,
mais rapidement semble-t-il, les termes « personne handicapée » ou
« handicapé ». Elle apparait moins stigmatisante, plus respectueuse,
plus écosystémique, peut-être même plus ouverte à des facteurs autres que ceux
appartenant à la personne, tels que les facteurs environnementaux. On voit
ainsi des organisations modifier les noms, titres, appellations et raisons
d’être en utilisant cette nouvelle formulation. Celle-ci se retrouve également
dans la communication publique, réglementaire ou médiatique.
Mais « chassez le naturel, il revient au galop ».
Les bonnes intentions ou les opportunités d’une telle formulation sont balayées par la propension générale à la compléter par un qualificatif qui affirme la négation même de la formulation. Lorsque l’on ajoute à cette formulation les qualificatifs comme sensoriel, moteur, intellectuel, psychique…, on qualifie une situation de vie au seul regard des caractéristiques déficitaires des personnes. C’est ainsi que les organismes qui ont modifié leur vocabulaire n’ont pas manqué de rajouter ces qualificatifs pour désigner les personnes qu’ils accompagnent : « pour personnes en situation de handicap sensoriel », « pour personnes en situation de handicap intellectuel », etc. Les qualificatifs ajoutés ne qualifient pas les situations vécues par les personnes (ce qu’induit pourtant le terme situation), mais les caractéristiques des personnes. Les caractéristiques des personnes deviennent ainsi les « causes » du handicap.Ce tour de passe-passe sémantique cache, par un discours mainstream,
l’ancrage résolument cristallisé d’une approche individuelle et biomédicale. Cette
approche, qu’on tente aujourd’hui de masquer par de nouvelles formulations,
n’en est pas moins bien présente, en témoigne ces qualificatifs qui y sont résolument
attachés. Les situations de handicap continuent à être attachées au
fonctionnement des personnes, non comme le résultat des rapports entre une
personne avec telle ou telle caractéristique et un milieu (un environnement)
qui est susceptible de mettre des obstacles à la participation sociale de cette
personne. Si une personne ne peut pas prendre le métro à Paris, ce n’est parce
qu’elle a une déficience motrice, c’est parce que le métro n’est pas adapté à
des personnes qui se déplacent en fauteuil : c’est ce qui définit une
situation de handicap en ce qui concerne les déplacements de certains citoyens.
Il ne s’agit pas là d’une incompréhension volontaire de la
notion de situation de handicap, sauf peut-être pour quelques manipulateurs
n’envisageant de changements qu’au niveau du langage sans entamer le réel.
C’est la projection d’anciennes représentations sur un nouveau langage : l’approche
individuelle biomédicale, qui se traduisait auparavant par les termes de
déficience, incapacités, dysfonctionnements, troubles…, se traduit aujourd’hui
par la formulation de situation de handicap, à laquelle on ajoute un
qualificatif qu’on a puisé dans les caractéristiques individuelles
biomédicales.
Une situation de handicap ne désigne ni une personne, ni une
catégorie de personnes. Elle désigne un moment de la vie (au travail, à
l’école, dans l’espace public, à la maison, etc) qui est empêché pour une
personne, parce que l’environnement de ce moment de vie n’est pas fait pour
elle, avec les caractéristiques qu’elle a. C’est pour cette raison qu’il est
abusif de rajouter des qualifications capacitaires/incapacitaires à la notion
de situation de handicap. Et que l’on trompe son public en utilisant la
formulation situation de handicap quand on ne parle que du handicap (sensoriel,
intellectuel, moteur, psychique…) d’une personne. Ou alors parlons aussi de
situation de participation sociale sensorielle, intellectuelle, psychique,
motrice…
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