Dans ta bulle ! - Les autistes ont la parole
de Julie DACHEZ (Hachette, 2018, Poche, 2021)
Il n’est pas inutile de faire une recension d’un livre paru il y a déjà quelques années, d’autant qu’il a été republié en édition de poche plus récemment en 2021). C’est ce que je me propose de faire, après une deuxième lecture. Pas inutile, à l’heure où les autistes sont plus que jamais l’objet de jugements, de catégorisations et d’étiquetage davantage que de prise en compte générale dans la vie de tous les jours. Désormais les autistes sont catégorisés, d’un point de vue « médical » ou « politique » ( ?), parmi les troubles du neurodéveloppement (TND), dans les troubles du spectre de l’autisme (TSA). La labellisation par la qualification de trouble place d’emblée les personnes concernées dans les « non-normaux », elle prend le point de vue, les valeurs et les références des « neurotypiques » (terme en usage chez les personnes autistes), pour créer une catégorie (« neuroatypique ?) pour les personnes qui ne correspondent pas aux normes en usage ou attendus chez les premiers. Ce contre quoi s’insurge Julie Dachez : « Pour moi, l’autisme est une différence de fonctionnement, pathologisée par une société obsédée par la normalité » (p.24)
Et c’est bien là tout l’enjeu : quelqu’un qui ne
fonctionne pas tout à fait (et même quelquefois de manière éloignée) comme la
majorité de la population dans son rapport au monde et à son environnement, dans
ses relations avec d’autres personnes, est-il pour autant l’équivalent d’un
malade, enfermé dans la catégorie des troubles. Car le trouble, quelques soient
ses objectivations biologiques ou génétiques, ou les caractéristiques d’un
comportement ou d’une aptitude, reste une marque négative d’un écart à des
normes attendues. Cet écart est la plupart du temps compris comme une forme de
pathologie, ouvrant dès le diagnostic vers un parcours de soins. Si certaines
personnes, dont l’autisme est visible, comme le caractérise J. Dachez, ont un
besoin impératif de soins et d’accompagnements, d’autres ne se considèrent pas
comme des sujets pathologiques, mais voudraient être reconnus dans leurs
spécificités, sans être piégés par une caractérisation de pathologie ou de trouble.
« Je vois l’autisme comme une particularité, une façon d’être, et je
plaide pour le changement social plutôt que pour la psychiatrisation des personnes. »
(p.29)
Certes le spectre est large, et entre les autistes
dépendants et les autistes invisibles, parmi lesquels se place l’auteure, les
problèmes et les difficultés ne sont pas identiques. Julie Dachez ne cherche
pas d’ailleurs à établir de frontières, ni à l’intérieur ni aux limites de la
population concernée, tant elle sait qu’à ce niveau, les choix qui peuvent être
faits sont des constructions sociales. Et il y a la question du diagnostic :
c’est celui-ci qui lui a permis de reconsidérer sa vie, de voir les choses
autrement. La pathologisation et la notion de trouble autistique empêche de questionner
les situations et les conditions de vie des personnes autistes autrement qu’en
termes de soins à mettre en œuvre. En excluant les problématiques sociales et
anthropologiques (de domination et de diversité).
Mais pour autant, même si le diagnostic a eu pour elle cet
effet positif, elle n’assimile pas diagnostic, même posé par un médecin, comme une
pathologie. C’est d’ailleurs l’un des problèmes que cela soulève : il est
difficile de ne pas adhérer à la considération de l’autisme comme pathologie ou
trouble, dès lors que c’est une instance médicale qui en conditionne la
reconnaissance. On peut rêver : l’autisme pourrait être reconnu par un
diagnostic anthropologique.
En plaçant la problématique des personnes autistes
comparativement à d’autres populations, l’auteure nous fait bien comprendre que
leur pathologisation est avant tout une construction sociale, avec laquelle il
y a lieu de prendre des distances. « L’autisme n’existe que par opposition au
neurotypisme. Et chaque population dominée (les Noirs, les femmes, les
homosexuels, les autistes, etc.) l’est sur la base de critères arbitraires,
naturalistes et essentialistes : les femmes seraient plus faibles qui les
hommes, ce qui justifie qu’elles aient besoin d’eux, de leur force, de leur
protection, et qu’elles soient à leur service. Les homosexuels auraient des
pratiques contre-nature, ce qui justifie qu’ils soient persécutés. A une époque
pas si lointaine, on considérait que les Noirs avaient un cerveau plus petit
que les Blancs, ce qui a justifié qu’ils soient colonisés et réduits en
esclavage. Et les autistes auraient une façon d’être et de communiquer
déficitaire, ce qui justifie qu’ils soient guéris / discriminés / opprimés /
stigmatisés, etc. » (p.30)
Ce que met aussi
en avant Julie Dachez, ce sont les rapports de domination qui s’imposent aux
personnes qui ont des fonctionnements différents, différents des normes
instituées. Comme si la différence (la diversité) était le prétexte d’une
infériorisation, d’une discriminations, d’une stigmatisation, d’une domination.
Le parallèle qu’elle fait Le parallèle
qu’elle fait,, dans un chapitre, avec la condition féminine est tout à fait
pertinent à cet égard, et encore plus quand il s’agit de femmes autistes (intersectionnalité).
Je pourrai disserter encore longuement sur l’intérêt de ce
livre. Mais plus simplement : je vous encourage à le lire !
Extrait de la présentation
Dans une passionnante enquête, ce livre nous fait
partager la démarche d’une jeune universitaire qui part à la rencontre de
personnes autistes afin de leur donner la parole. Loin des clichés
ordinairement véhiculés, cet ouvrage retrace les parcours de vie et de
résilience hors normes d’autistes invisibles qui s’adaptent, se cachent,
s’assument, se battent. En alternant récits de vie et savoirs académiques, avec
un style énergique et drôle, l’auteure, elle-même autiste Asperger, bouscule
nos idées reçues sur la normalité et nous invite à repenser notre société.
Vie scolaire et professionnelle, relations sociales,
rapports homme-femmes : autant de sujets qui sont explorés ici et sur lesquels ces atypiques posent un
regard avisé et corrosif. En observant le monde à travers leur lorgnette, c’est
curieusement sur vous-même que vous en apprendrez le plus.
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