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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

lundi 12 décembre 2022

lecture : De chair et de fer, Charlotte Puiseux

De chair et de fer, Vivre et lutter dans une société validiste

de Charlotte PUISEUX (La Découverte, 2022)

Le validisme est une notion encore trop méconnue. Des activistes en situation de handicap l’ont fait connaitre, les recherches en disability studies l’ont renseigné, quelque émissions radio ou TV ont élargi son audience. Contre d’ailleurs la dénégation de la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, qui a affirmé que le validisme n’existait pas. Cela reste une notion méconnue, en particulier chez les professionnels de l’intervention médico-sociale : à plusieurs reprises, en formation auprès de professionnels de terrain ou cadres intermédiaires, j’ai pu constater la méconnaissance de cette notion, ainsi que la méconnaissance des luttes menées par les personnes concernées.

Pour comprendre ce qu’est le validisme, dont le contenu conceptuel ne peut se résumer à une définition, rien de mieux que de le vivre par procuration, en lisant ce livre de Charlotte Puiseux, activiste de la lutte anti-validiste. Dans cet ouvrage, elle a écrit sa biographie. Mais une biographie politique, dénonçant ce qu’elle a pu subir comme les effets d’une idéologie validiste, décrivant ses conditions de vie, de relations, de place sociale comme des caractéristiques d’une société validiste.

Dans son introduction elle présente clairement sa position d’écrivaine et de militante, donnant déjà une première définition de ce que peut être le validisme : « Aujourd’hui, je veux écrire sur ce que j’ai vécu, mais en rattachant mon expérience à une histoire collective. Je veux écrire sur le handicap, mais en rejetant les éternels poncifs qui saturent les discussions autour de ce sujet. Je ne veux absolument pas me présenter comme l’héroïne d’une histoire de résilience et de dépassement de soi issue d’un imaginaire validiste. Et je ne veux pas contribuer aux discours ambiants qui font du handicap une tragédie personnelle.

J’écris sur le système d’oppression qui touche l’ensemble des personnes handicapées, qu’elles aient un handicap physique, psychique, sensoriel, cognitif, mental. J’écris sur le fait de ne pas correspondre aux normes médicales et sociales établissant les termes de la validité, sur sa production en tant que décision politique et émanant de rapports de domination. Qui a décidé que marcher, voir, entendre, utiliser le langage oral, percevoir la réalité d’une certaine façon… étaient des conditions pour qu’une vie soit jugée digne d’être vécue ? Et pour quelles raisons ? J’écris sur l’idéologie qui se déploie dans toutes les sphères de la société, parfois avec une extrême violence, souvent de manière insidieuse à travers les plus infimes gestes et attitudes des personnes valides, des détails qui s’incrustent en nous, personnes handicapées, et que nous intériorisons. J’écris sur les discriminations que nous subissons. J’écris sur le validisme. » (p.10-11)

Mais qu’est-ce que le validisme ? C’est un ensemble d’attitudes, de représentations, de décisions, d’organisations, etc. qui produit une infériorisation et une mise à l’écart des personnes en situation de handicap. « On ne parle pas ici de validisme assumé, de haine ouverte envers les personnes handicapées, mais d’un validisme souterrain bien plus sournois dont les individus qui le véhiculent n’ont pas conscience. » (p.30). Il se manifeste au quotidien, et entre autres choses, par la volonté sociale et politique de réparation des corps, de rendre valide. « Non mon rêve n’était pas de marcher (marcher n’a jamais été vital !) ni de courir. Oui, je voulais avoir une vie sociale, des relations amoureuses, travailler… Mais la solution n’était pas de me rendre valide. » (p.32). Toutes les personnes dont on ne peut rétablir le fonctionnement « normal » deviennent ainsi des « valides ratées ».

C’est une prise de position radicale, et c’est justement ce radicalisme qui permet de comprendre que ce qui relie deux personnes en situation de handicap entre elles, ce ne sont pas leur caractéristiques physiques (il n’y a rien qui se ressemble entre une personne Sourde, une personne ayant une trisomie 21 ou une personne dysphasique). C’est plutôt que la société rejette à tel ou tel moment telle ou telle caractéristique corporelle ou psychique en fonction de degré de divergence avec les normes corporelles ou psychiques établies. C’est ce rejet qui constitue une caractéristique commune que l’on peut nommer oppression ou domination. La marginalisation des personnes en situation de handicap, leur mise au ban de la société est une construction sociale et politique des dominants institués et désignés comme valides, la validité constituant dès lors la norme de l’inclusion dans la société. « Un individu est désigné handicapé parce qu’il est exclu des critères de la validité, parce que son corps, au sens large, ne correspond pas aux critères délimités par une société donnée dans un contexte précis. Ces critères varient selon les normes sociales et l’importance attribuée à telle ou telle capacité. » (p.84)

Cela amène l’auteure à s’interroger (et à nous interroger) sur nos représentations (individuelles et collectives) et nos attitudes concernant les personnes en situation de handicap. Il nous semble naturel de penser qu’un dysfonctionnement corporel (déficience, maladie, troubles) constitue une anomalie au regard du fonctionnement de la presque totalité de l’humanité. Cette anomalie (le segment qui est outre la « presque totalité ») est instituée en a-normalie selon des critères produits par la société. Si presque tout le monde voit, celui qui ne voit pas constitue une anomalie, transformée en anormalité. A cette division de l’humain entre normal et non normal, s’ajoute une hiérarchisation des existences, qui place ces derniers en bas d’une hiérarchie des valeurs d’une vie. Ceci a des conséquences éthiques en ce qui concerne justement la définition fonctionnelle ou médicale du fonctionnement corporel, et le jugement sur la valeur des vies. L’auteure rappelle justement que ces critères ont donné lieu pendant la pandémie à des décisions de sélection des patients pour les soins, autre manifestation du validisme. « Car faire de la validité et du handicap deux sphères autonomes produit inévitablement un classement des individus. Utilisé comme simple outil pour ranger les individus selon des diagnostics, dans une visée de reconnaissance sociale, ce classement exclut de ses rangs nombre de personnes handicapées qui n’éprouvent pas ces définitions dans leur propre vécu. Et si un système de valeurs lui est en plus associé, les personnes qui se trouvent en bas de ce classement se voient plus ou moins strictement exclues de l’humanité, leur vie n’étant pas considérée comme véritablement digne d’être vécue. » (p.93)

Le validisme se définit donc par ses manifestations tout au long du cours de la vie d’une personne en situation de handicap dans les manières dont celle-ci est mise en marge de la société au nom d’un critère unique de bon fonctionnement corporel et de la persistance de fonctionnement de la société au profit de ceux qui ont ce bon fonctionnement. Il est « cette idéologie qui repose sur le fait que les corps désignés comme valides ont plus de valeur que les corps désignés comme handicapés ; ce qui entraine des discriminations des personnes handicapées dans tous les domaines de la société ». (p.99)

C’est le médical, étendant sa définition de la santé à la philosophie de la vie, qui définit dès lors ce qui est bien ou mal, ce qui est humain ou « moins » humain, autrement dit qui donne une échelle de valeurs aux vies. « Le handicap a longtemps été compris uniquement comme une déficience médicale : dans cette perspective, une personne handicapée est caractérisée par un manque, une défaillance, une insuffisance, une faiblesse organique et/ou psychologique. Le corps, l’esprit, le comportement ne correspondent pas aux normes érigées par la médecine en vue de définir la bonne santé, distinguer le sain du pathologique et, finalement, délimiter la pleine et entière humanité. » (p.16)

Extraits de la présentation de l’éditeur

Dès l’instant où je suis née, j’ai porté sur moi les marques évidentes du handicap. Ma relégation aux marges de la société s’est alors installée irrémédiablement et il semblait naturel que mon existence se déroule en bas de la hiérarchie des vies humaines.

Mais ce destin tragique n’a rien de naturel : il est écrit par une société qui érige des normes à coups de mesures légales et d’examens médicaux et exclut certains corps, certaines vies. Aller à l’école, travailler, se loger, tomber amoureuse, se déplacer, militer, avoir des enfants… Toutes les activités qui font de nous des êtres sociaux sont très difficilement accessibles aux personnes handicapées. Plus que nos corps et nos esprits, ce sont les structures sociales qui entravent nos vies.

Dans cet essai autobiographique, je retrace cette histoire de violences et de discriminations dont j’ai hérité et décrypte le système idéologique qui les soutient : le validisme. Mais je raconte aussi que nous, les personnes handicapées, pouvons-nous réapproprier cette histoire et faire de nos identités des outils de lutte pour l’émancipation et des sources de fierté.

L’ouvrage est susceptible de déstabiliser nombre d’habitudes de penser et d’agir, en particulier de ceux pour qui la tâche est d’accompagner des personnes en situation de handicap. Mais cette déstabilisation ne peut être que salutaire, car c’est une condition impérative de changement et d’émancipation des personnes en situation de handicap.

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