Inclusion : les mots font-ils la réalité ?
Du point de vue de la puissance publique, l’inclusion « marche ». Cette assertion, qui prétend décrire une « vérité », s’appuie sur un certain nombre d’indicateurs objectifs : nombre croissant d’élèves dans des dispositifs étiquetés inclusifs conformément aux politiques publiques (UEE, ULIS, …), nombre de conventions avec les services médico-sociaux, publication d’un grand nombre de textes réglementaires, d’aménagements et de recommandations (septembre 2022 : 60 pages sur les aménagements d’examens), nombre de professionnels dédiés (dont les AESH), multiplication des dispositifs de réponse (dont les numéros verts) et des réunions de commissions diverses…Quant à ce qui se passe sur le terrain, la rentrée scolaire de 2022 a mis en évidence une réalité autrement perçue. Ces indicateurs ne donnent manifestement pas une image adéquate de la qualité de la scolarisation et de socialisation des élèves en situation de handicap ; il n’est pas dit grand-chose, en dehors de ce qui en est perçu intuitivement, de la reconnaissance de ces élèves par les autres et les professionnels, ou de la progression du vivre ensemble, pas plus que des nombreux « couacs » dans l’organisation de cette inclusion.
Les politiques publiques proposent certes des solutions
diverses et variées, observables à travers ces indicateurs choisis, qui
définissent in fine la manière de traiter les questions ou les problèmes. La puissance
publique parle du nombre croissant d’AESH, pas du nombre d’élèves non desservis
par les AESH en cette rentrée scolaire. La manière de formuler les problèmes ou
les résultats sert d’argumentaire et de justification aux solutions proposées.
Celles-ci sont par conséquent formulées comme étant les dispositifs adéquats à
la question issue d’un choix de formulation. Ainsi, des dispositifs comme les
UEE ou les ULIS, qui ne sont pas des dispositifs inclusifs, mais au mieux
intégratifs, sont des réponses qualifiées d’inclusives pour justifier la
manière publique de poser la question de l’inclusion. Les besoins des
politiques publiques de repenser et de faire différents dispositifs définissent
ainsi, de manière partiale et partielle, le contenu conceptuel et pratique de
l’inclusion : un dispositif, aussi discriminatoire et ségrégatif soit-il, est
utilisé pour définir la politique d’inclusion.
Si les mots nomment les choses, ils ne font pas que cela.
Ils donnent aux choses (les dispositifs ou les concepts par exemple) une
réalité nouvelle ou modifiée, ils leur attribuent un certain sens. Ainsi des
dispositifs comme les UEE ou les ULIS, pourtant marginalisés dans le système
scolaire, définissent le concept d’inclusion. Le vocabulaire installe dans les
représentations des définitions de l’inclusion qui sont loin de satisfaire à
l’analyse que l’on peut faire du concept. Une UEE ou une ULIS ne modifient
guère le fonctionnement éducatif et pédagogique de l’école, alors qu’elles sont
données comme étant une caractéristique, une réponse, au problème de
l’inclusion. Le problème est ainsi défini par les politiques publiques comme
une solution organisationnelle qui « marche », à partir d’indicateurs
mesurables.
Cette définition a priori et partiale d’une réalité,
définition qui donne corps à la réalité en question, emprisonne la réflexion et
les évolutions possibles dans le domaine de ce qui est préalablement qualifié
par le vocabulaire choisi et imposé. Si l’inclusion est ainsi définie comme
étant opérationnelle dans de tels dispositifs ségrégatifs, il n’est nullement
besoin de réfléchir au-delà, d’essayer de penser le phénomène inclusif dans
toute sa complexité interactive, dans le changement systémique du
fonctionnement du système dans son ensemble, dans une « révolution »
de l’approche pédagogique, éducative et sociale. Autrement dit, la manière de
qualifier aujourd’hui l’inclusion serait-il le meilleur moyen d’y mettre des
obstacles.
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