Y a-t-il de "bons" handicapés ?
Aujourd’hui comme hier, dans toute société, il y a ceux qui sont valorisés et ceux qui ne méritent pas la considération de leurs pairs, surtout si ceux-ci ont une parcelle de pouvoir. C’est ainsi qu’autrefois il y avait des « bons » pauvres et de « mauvais » pauvres. Les « bons » pauvres, qui n’étaient pas en mesure de travailler, acceptaient l’aumône avec humilité, et faisaient ce qu’ils pouvaient, dans le plus grand respect de l’ordre en vigueur. Les « mauvais » pauvres étaient ceux qui profitaient de la situation en mendiant, en faisant des larcins, en refusant les conditions misérables de travail, etc. Les premiers étaient vertueux, les seconds étaient pourchassés et punis. Les catégories et les critères ont évolué, mais il y a toujours de « bons » pauvres et de « mauvais » pauvres. Et en particulier, la discrimination se voit aujourd’hui relativement à l’emploi et au travail : il y a de « bons » chercheurs d’emploi et de « mauvais » chômeurs.
Sur le registre de « bons pauvres » ou de
« bons chômeurs », ceux qui s’activent pour ne plus être pauvres, ne
plus être chômeurs. Et s’ils restent pauvres ou chômeurs, c’est de leur
responsabilité, c’est qu’il n’en ont pas fait assez, qu’ils sont restés
« dans leur zone de confort ». Qu’ils méritent par conséquent leur
sort, ou d’être punis pour être de mauvais pauvres ou chômeurs, des assistés
qui coûtent un « pognon dingue ». De la même manière, le
« bon » handicapé sera en définitive celui qui se conforme ou adhère,
qu’il le veuille ou qu’il le puisse, aux valeurs dominantes de la société dans
laquelle il vit, valeurs définies comme normales et à respecter. Dans cette
configuration, nombreux vont être les « mauvais » handicapés.
Ceux qui ne peuvent obtenir un emploi, comme les chômeurs
non handicapés, basculent dans la catégorie honnie des assistés, des paresseux,
des assistés, d’autant qu’ils bénéficient de l’AAH. Sans prendre en
considération que le taux d’emploi des personnes en situation de handicap est
beaucoup plus faible que celui des autres, et que l’emploi se faisant rare, les
entreprises privilégient les plus rentables et exploitables. L’emploi, qui a
évolué sur des dispositifs extrêmement contraignants (générant stress et
souffrance), exigeant des dispositions personnelles importantes, devient un
domaine partiellement inaccessible pour les personnes en situation de handicap,
qui en deviennent de « mauvais » handicapés.
Ceux qui, face à l’insécurité du monde contemporain (au
travail, mais aussi dans les relations et les valeurs dominantes) dans lequel
l’individualisme concurrentiel et excluant est de mise, demandent un certain
niveau de protection, une politique sociale qui ne soit pas simplement
individuelle, mais qui se soucie du commun et du vivre ensemble, ceux-là ne
correspondent pas ou plus aux dogmes de réalisation ou développement personnel,
de réussite individuelle et de narcissisme flexible et agile.
Ceux qui refusent la politique de normalisation de leur
différence sont aussi de « mauvais » handicapés, qui refusent le
« progrès ». Les Sourds se sont opposés à certaines innovations
biotechnologiques (implants cochléaires) sur le registre de la valorisation de
leur identité linguistique et culturelle. D’autres catégories aujourd’hui se
manifestent sur ce registre : neuroatypicité, « maladie »
mentale… Contestant la norme dominante, ils sont caractérisés comme étant de
« mauvais » handicapés. Mais aussi ceux qui prennent au mot les
discours officiels et réclament l’effectivité des droits des personnes
handicapées. Ils exigent que la société agisse concrètement, la critiquant sur
son fonctionnement validiste, assignant les personnes en situation de handicap
à des positions dominées, et contestant par là l’organisation sociale de
hiérarchisation des vies. Dans une société validiste, en définitive il ne peut
y avoir que de « mauvais » handicapés, en dehors de ceux qui
partagent les valeurs validistes.
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