Troubles dans le handicap
Nos représentations des personnes en situation de handicap ont, nous dit-on à longueur de temps, radicalement évolué : l’assignation du handicap aux caractéristiques de la personne, la prise en compte de l’environnement, la place active de la personne dans tout ce qui la concerne, autant de domaines qui attesteraient de façon évidente de ces évolutions. Dans le quotidien de la vie des personnes en situation de handicap, celles-ci au contraire attestent bien souvent que ces évolutions existent essentiellement dans les discours, mais ne correspondent pas aux réalités vécues par elles : pas d’accessibilité, représentations négatives, validisme sociétal, inégalités dans les conditions de vie relativement aux personnes non handicapées, etc. Mais aussi parfois, même dans le discours des politiques publiques, surgissent d’anciens modèles de pensée, dissimulés derrière d’autres initiatives faisant preuve, elles, de progrès et de changements.
Ainsi en est-il, il me semble, de la recommandation de bonne
pratique de la HAS (Haute Autorité de Santé) relative à l’accompagnement de la
personne présentant un trouble du développement intellectuel (TDI), mis en ligne le 5 octobre 2022. On remarque
tout d’abord une première évolution. On ne parle plus de déficience
intellectuelle, qui pouvait laisser entendre que c’était la structure
neurologique qui était atteinte et que les effets pouvaient être identiques
pour tous. Cela amenait aussi à caractériser ontologiquement, à catégoriser une
population comme celle des déficients intellectuels comme une unité séparée par
une frontière. En parlant de troubles du développement intellectuel, la
caractérisation est plus nuancée et complexe, elle tient compte de multiples
facteurs. Les diagnostics sont fondés, certes sur une observation du
fonctionnement du système neurologique, mais aussi sur l’observation des
manifestations fonctionnelles des réalisations des aptitudes intellectuelles,
et autres, identifiées en termes de capacités et d’incapacités.
La recommandation prend bien en compte les différents facteurs
générateurs de situations de handicap, à savoir les caractéristiques (capacités
et incapacités) de la personne et les conditions de fonctionnement de
l’environnement. Ainsi par exemple, dans le livret « cognition et
apprentissages », trouve-t-on deux parties en ce qui concerne
l’évaluation : l’évaluation des capacités cognitives et la mise en place
d’un contexte facilitant l’évaluation. De même, dans le chapitre
« intervention », trouve-t-on l’adaptation des apprentissages et les
interventions sur l’environnement. A ce titre, il y a bien dans cette
recommandation une prise en compte des évolutions conceptuelles concernant le
handicap et les conditions mettant des personnes en situation de handicap.
Et puis on lit l’introduction, qui définit le TDI :
« il est caractérisé par : une limitation des fonctions
intellectuelles (raisonnement, résolution de problèmes, planification,
abstraction, jugement, etc. ; un déficit des comportements adaptatifs
(déficit dans un ou plusieurs champs de la vie quotidienne comme la
communication, la participation sociale, etc. » Patratas ! Nous
voilà revenus à des caractéristiques personnelles caractérisant le handicap
sous les troubles ! Comme si les troubles caractérisant ces personnes
n’appartenaient qu’à eux (limitations et déficits) sans que l’environnement
(physique ou social) n’interviennent dans la production de la situation de
handicap. La nature des personnes concernées n’est plus d’être des déficients
intellectuels, mais d’avoir des troubles. Les difficultés qu’elles rencontrent
dans la vie quotidienne sont dues à elles-mêmes.
La recommandation en reste à une philosophie validiste de la
vie humaine. Ce n’est plus la déficience qui exclut une personne de la vie en
société ; ce sont les limitations et les déficits des fonctions
intellectuelles ou des comportement adaptatifs qui assignent les personnes
concernées à un rôle social subalterne. Seules les réductions de ces
limitations ou de ces déficits seraient de nature à rendre les personnes
concernées à une vie de valeur. Persistance de l’approche biomédicale !
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