Demandes, besoins et prestations
Parfois, on assimile ou juxtapose besoins et demandes, au profit des premiers et en minorant les secondes, considérant qu’il s’agit des mêmes catégories et des mêmes contenus. Mais les demandes ou les aspirations diffèrent de la notion de besoins, ceux-ci entrant dans des catégories psychosociales ou administratives, dans lesquelles n’entrent pas forcément les premières. Les demandes viennent des personnes en situation de handicap elles-mêmes (ou de leurs parents si elles sont mineures), qualifiées dans le champ de leur accompagnement d’usagers. Elles concernent des souhaits, des aspirations, des rêves parfois, un projet … et des besoins vitaux ou moins vitaux. Elles ne rentrent pas toutes dans la catégorie « besoins ». Ceux-ci, en dehors de ce qu’exprime l’usager, relève le plus souvent de ce que peuvent évaluer, au nom des normes sociales, les professionnels en terme de compensation médicale, thérapeutique ou éducative, et de ce qu’ils peuvent évaluer des différentes aptitudes d’une personne : intellectuelles, langagières, de mobilité, perceptives, comportementales… Même l’autonomie, qui concerne les conditions de réalisation de différentes habitudes de vie, est traitée en besoin là où elle pourrait être considérée en tant que droit.
Il y a très
souvent des écarts entre les demandes et les besoins, comme en témoigne de
nombreux exemples de divergences ou de conflits entre les professionnels d’un
service et les usagers ou leurs parents : la demande va être opposée au
besoin défini et affirmé par les professionnels. Tels parents veulent-ils
scolariser leur enfant à l’école dite inclusive que les professionnels experts
(y compris ceux qui président aux orientations au sein des CDAPH) affirment des
besoins de soins, d’étayages éducatifs, de dispositifs éducatifs spécialisés,
d’internat…
Et, lorsque
les parents n’adhèrent pas au projet qui leur est proposé (non pas leur projet,
c’est-à-dire leur demande, mais un projet établi en fonction de la définition
hétéronome des besoins par des experts-ès-besoins), ils sont déclarés
irrationnels, avec carence éducative, voire atteints de troubles psychiques,
ils « n’ont pas fait le deuil de l’enfant idéal », ils
« refusent le handicap ». Lorsqu’une personne en situation de
handicap revendique son autonomie (dans son choix d’habitation, dans les
transports, dans sa vie affective et sexuelle…), ces même experts-ès-besoins
lui opposent des besoins de protection et d’accompagnement en raison de sa
vulnérabilité signifiée par sa « nature » handicapée, des besoins de
limitation des risques ou concernant le manque de capacités (incapacités). Ce
fut le cas pendant longtemps lorsqu’un couple de personnes présentant des
incapacités intellectuelles manifestait son désir de fonder une famille et
d’avoir des enfants.
Les besoins
identifiés par les professionnels ne recouvrent que partiellement les
demandes/besoins des usagers, et masquent dans le même temps la globalité et la
singularité des demandes. Lorsque des professionnels parlent de besoins, ils
confondent la plupart du temps les demandes « raisonnables » et
considérées comme pertinentes lorsqu’elles correspondent aux modèles de
réponses des professionnels et de leurs institutions, mais comme excessives,
irréalistes, irrationnelles lorsqu’elles n’y correspondent pas avec les
besoins, identifiés comme ce qui est déterminé par expertise par ceux qui
savent, et désormais nomenclaturés dans des réglementations et recommandations
officielles (SERAFIN-PH).
La réforme de
l’offre médico-sociale incite bien à prendre en compte le point de vue de
l’usager, et à le mettre au centre du projet d’accompagnement en identifiant
ses besoins, avant d’organiser les prestations pour répondre à ces besoins.
Mais tant que les besoins seront identifiés à des manques (de capacités, d’aptitudes,
d’autonomie, de participation…), tant que ce n’est pas la personne qui indique
ce qui lui importe dans la réalisation de ses habitudes de vie (dans sa vie
quotidienne comme dans sa participation aux institutions faites pour tous), la
démarche ne pourra qu’être incomplète et rater le coche d’une société
inclusive.
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