Les bonnes pratiques : ne pas utiliser sans précautions
Il faut toujours se méfier des argumentations bienveillantes et généreuses lorsqu’on ne prend pas en compte les conditions dans lesquelles vont se mettre en place les objets de ces argumentations. Ainsi, un pays européen a-t-il voulu mettre en place, pour un meilleur suivi de santé et d’accompagnement des femmes enceintes, leur inscription sur une plateforme nationale dès leur première visite chez leur médecin. L’intention peut paraitre louable. Sauf que ce pays a mis des limites très sévères au droit à l’avortement, et que la plateforme permet de surveiller que personne n’avorte clandestinement ou dans un autre pays. L’intention affichée dans une communication officielle ne sert qu’à masquer des intentions et réalités d’une autre nature. L’action politique est saturée de ces décalages : réforme du système de soins pour l’améliorer et système hospitalier ruiné par exemple.
Les recommandations de bonnes pratiques, des milliers de
pages en ce qui concerne l’action sociale et médico-sociale, présentent les
meilleures intentions du monde, et œuvrent à faire disparaitre ce qui peut être
considéré, aux yeux des rédacteurs, comme des pratiques inadaptées, inappropriées,
mauvaises, malveillantes. Et de fait, il en existe de telles, qu’il importe de
supprimer. Les bonnes pratiques sont issues pour une part des pratiques
existantes sélectionnées par des « experts », pour une autre part,
des principes politiques actualisant des évolutions concernant la définition du
handicap, la place des « usagers » dans notre système et dans la
société, la reconnaissance de leurs droits, etc, sans oublier la priorisation
des contraintes et caractéristiques de gestion. Ainsi par exemple, la
modification des pratiques dans le secteur médico social est placée sous l’égide
du financement, dans le titre même de la réforme : SERAFIN-PH, Services et
Etablissements Réforme pour une Adéquation des FINancements aux parcours des Personnes
Handicapées.
Toutes les pratiques professionnelles existantes n’ont pas
été sélectionnées comme bonnes pratiques. Ont été sélectionnées celles qui font
consensus parmi des experts choisis, et qui sont conformes aux nouvelles règles
de rapports avec les usagers. Que de « mauvaises » pratiques soient
rejetées, quoi de plus normal : maltraitance, déni de droits, défaillances
professionnelles, non respect des personnes, etc. Mais parfois est rejeté le
bébé avec l’eau du bain ! D’autres pratiques, alternatives ou innovantes,
sont rejetées dans la même eau. Par exemple, des pratiques inspirées par la
psychanalyse sont dorénavant considérées comme des « non-bonnes
pratiques », de manière absolue, sans que les effets aient toujours été
évalués, ou qu’ils aient été évalués selon une autre norme scientifique. Il ne
s’agit pas d’avancer ici que ces pratiques étaient toutes justifiées, mais un
tel rejet total et global reste quand même suspect.
Dans ce partage du bien et du mal, des bonnes et des
mauvaises pratiques, les pratiques alternatives ou innovantes n’ont aucune
place. Toute pratique alternative prend le risque d’être désignée comme
contraire au référentiel ou dissonante par rapport au consensus existant. Une
situation typique pourrait être celle-ci : un professionnel innove quelque
chose qui lui semble aller dans le sens des nouveaux paradigmes relatifs aux
accompagnements des personnes en situation de handicap. Il prend plusieurs
risques par rapport aux recommandations de bonnes pratiques : s’il veut
prendre en compte la vulnérabilité des personnes, son action risque d’aller
contre le modèle d’une autonomie qui est le modèle dominant et unique,
nonobstant le caractère de vulnérabilité de tout être humain. Ou alors, s’il
s’écarte des limites données à l’accompagnement dans la mise en relation entre
une nomenclature de besoins et une nomenclature de prestations (SERAFIN-PH), il
prend le risque d’être hors des ressources budgétaires autorisées.
Il y a un intérêt à s’inspirer des bonne pratiques
recommandées, et à les appliquer. Mais certainement pas d’en faire une nouvelle
religion.
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