Situation de handicap : un vocabulaire dévoyé
L’expression « situation de handicap » est devenue familière, en particulier dans le monde professionnel, où elle semble être utilisée de plus en plus systématiquement. Mais, lorsqu’on observe de près son utilisation, on s’aperçoit que le sens de l’expression a été dévoyé, et bien souvent elle désigne ou qualifie des représentations, des pensées et des pratiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’approche anthropologique et écosystémique qui avait produit cette expression. C’est bien souvent une étiquette « qui fait bien », politiquement correcte, qui prétend attester d’un changement de paradigme là où ce sont de vieux modèles de pensée qui persistent.
Une situation
de handicap concerne bien sûr une personne, qui peut, dans certaines
circonstances, se trouver dans une situation de handicap. Mais la situation de
handicap ne concerne pas cette personne dans ses caractéristiques personnelles ;
elle la concerne dans ses activités sociales, dans ses habitudes de vie, dans
ce qu’elle fait. La situation de handicap qualifie une habitude de vie pour une
personne, pas une personne. Selon la Classification internationale Modèle de
Développement Humain – Processus de Production du Handicap (RIPPH, Québec,
2018), « une situation de handicap correspond à la réduction de la
réalisation d’une ou plusieurs habitudes de vie, résultant de l’interaction
entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux »
(p.56). L’habitude de vie quant à elle « est une activité courante ou
un rôle social valorisé par la personne ou son contexte socioculturel selon ses
facteurs identitaires (l’âge, le sexe, l’identité socio-culturelle, etc.). Elle
assure la survie et l’épanouissement d’une personne dans sa société tout au
long de son existence. Une habitude de vie est la performance d’une activité
sociale en milieu réel de vie. C’est la rencontre de la personne avec son
environnement » (p.56).
Ainsi, ce qui
définit la réalisation, ou non, d’une habitude de vie c’est l’interaction entre
les caractéristiques d’une personne (ses caractéristiques identitaires, celles
de son système corporel, physique ou psychique, la réalisation de ses
aptitudes) et les caractéristiques de l’environnement dans lequel elle se
trouve (et qui peut être facilitatrices ou obstacles, « capacitantes »
ou non, aux réalisations des habitudes de vie). La situation de handicap, ou à
l’inverse la situation de participation sociale, est par conséquent issue des
deux facteurs (personne/environnement). Il s’agit là d’une approche
écosystémique des situations de vie de toute personne.
Et
qu’observe-t-on ? L’emploi, dans le milieu professionnel, de formules
comme « situation de handicap sensoriel » ou « situation de
handicap intellectuel ». Formulations qui vont à l’encontre de la notion
de situation de handicap. Avec une telle formulation, on renvoie ce dont on est
en train de parler, la situation de handicap, non pas à la notion de situation,
mais aux caractéristiques personnelles (sensoriel, intellectuel…) référées à
des fonctionnements corporels ou d’aptitudes. On perd de vue qu’une situation
(de handicap ou pas) est le « résultat » d’une interaction. On
qualifie en définitive non pas la situation de handicap, mais ce qui auparavant
définissait le handicap, dans une chaine causale de déficiences, d’incapacités
et des désavantages que cela entraine. J’ai vu aussi récemment une grille
prétendant présenter une approche situationnelle du handicap, sous forme de
carte mentale dont les branches explicitaient uniquement les propriétés
catégorisées d’aptitudes et d’incapacités personnelles, par catégories de
déficiences.
Dans ces deux
exemples, il s’agit manifestement d’approches non situationnelles : les
« situations de handicap » évoquées dans l’un et l’autre exemple font
référence aux caractéristiques (déficitaires) de la personne, non aux
situations de vie. On emploie par conséquent une nouvelle expression langagière
en place d’une autre, et sans changer le signifié de cette dernière dans ses
aspects traditionnels défectologiques. On dit « situation de
handicap », on pense « handicap ».
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