Le handicap ne se guérit pas
Au début était la maladie. Ce que l’on nomme aujourd’hui le handicap, catégorie qui s’est construite au fil du temps avec des champs d’extension divers, relevait, dans un passé pas si lointain, d’une approche curative : la préoccupation était de le guérir, de lui apporter un traitement et dans le meilleur des cas de le supprimer. L’approche curative a précédé une approche qu’on peut qualifier de rééducative ou de réadaptative : il ne s’agissait plus de guérir, mais de réparer pour intégrer ou réintégrer la vie ordinaire. Mais l’approche curative demeurait bien présente dans cette nouvelle approche, apparue il y a déjà plus d’un siècle.
L’ancienne volonté curative a-t-elle vraiment disparu, évanouie dans les approches rééducatives qui se sont développées, puis dans les approches sociales ou écosystémiques qui se sont imposées depuis lors ? Rien n’est moins sûr.
Il y a toujours des spécialistes qui veulent à tout prix guérir les personnes handicapées, identifiant la problématique du handicap au dysfonctionnement corporel (physique ou psychique) : faire entendre les sourds, voir les aveugles, marcher les paralytiques, guérir les autistes… Les artéfacts technologiques ou chimiques ne manquent pas, des lunettes pour dyslexiques aux pilules magiques pour les autistes ou pour ceux qui manifestent de troubles du comportement, de l’exosquelette aux implants cochléaires. Ainsi voit-on se développer aujourd’hui tout un marché médico-psycho-développemental de guérison de l’autisme.Il serait outrecuidant de juger toutes ces solutions
inappropriées : certaines d’entre elles sont en mesure d’améliorer la vie
quotidienne des personnes concernées, et nombre de progrès technologique sont
encore, à l’avenir, susceptibles d’y contribuer. Mais certaines sont aussi des
intrusions dans les vies personnelles des individus, et même parfois
dangereuses. A l’instar par exemple des thérapies de conversion, dont la
finalité serait de modifier des orientations sexuelles considérées, par les
promoteurs de ces traitements, comme « anormales ».
Car là est bien la question fondamentale : la guérison
ou le traitement se situent bien dans cette problématique de « normalité /
anormalité », dans laquelle cette dernière relèverait du registre d’une
maladie dont il s’agit de guérir. Au-delà des résultats sociaux positifs des
traitements évoqués, il n’en reste pas moins que les traitements sont les
signes manifestes de quelque chose qu’il faut modifier, d’un fonctionnement
corporel dont il faut sortir, comme on sort d’une maladie.
Les Sourds ont été les premiers à se positionner contre une
telle approche curative, en affirmant leur identité sourde, à travers leur
langue (une langue visuelle, la langue des signes), leur culture, leur manière
d’appréhender le monde et les relations sociales, etc. Ils n’ont pas souhaité
guérir de leur déficience auditive, ils ont revendiqué des moyens pour faciliter
leur vie dans une société régie par et pour des personnes qui entendent. Un
certain nombre de personnes autistes revendiquent aujourd’hui, à partir d’une
problématique de neurotypicité / neuroatypicité, une demande de reconnaissance
d’un fonctionnement cognitif, relationnel, affectif particulier auquel la
société devrait être sensible. Les personnes ayant un trouble psychique, de la
même manière attendent qu’on leur reconnaisse leur singularité de
fonctionnement psychique, sans vouloir à tout prix les guérir, mais en leur
permettant de mieux vivre dans une société plus accueillante. Les personnes
ayant une trisomie 21 n’attendent pas d’être guéries, mais d’être reconnues
comme des personnes de plein droit.
Dans le reconnaissance de la diversité humaine, l’effort
serait peut-être davantage à porter sur la reconnaissance des singularités, et sur
l’adaptation des environnements physiques et sociaux aux conditions de vie de
toutes ces personnes, que sur les garanties qu’elles puissent être guéries de
leurs caractéristiques, qui de fait sont considérées dans ce contexte comme des
anormalités.
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