Enfances de classe - De l'inégalité parmi les enfants
sous la direction de Bernard LAHIRE ( Seuil, 2019)
Les enfants, en effet, n’arrivent pas à égalité à l’école.
« Alors que les uns accumulent les ressources économiques, matérielles,
morales, culturelles, langagières, scolaires, corporelles et sanitaires,
d’autres cumulent les handicaps ou les obstacles par rapport aux normes
dominantes : pratiques langagières plus ou moins conformes aux exigences
scolaires, rapport à l’écrit plus ou moins travaillé (par des lectures
d’histoires, le souci de prononciation « correcte » des mots, un apprentissage
des lettres…), apprentissage plus ou moins précoce des langues étrangères, et
notamment de la langue anglaise, jeux plus ou moins pédagogiques, pratiques
culturelles plus ou moins légitimes, souci de soi – corporels, vestimentaires,
sanitaires et diététiques – plus ou moins présents, construction d’une plus ou
moins grande estime de soi ou de confiance en soi, constitution plus ou moins
marquée de dispositions ascétiques, combatives, compétitives ou obéissantes,
initiation plus ou moins précoce à la gestion de l’argent, au leadership, etc. »
(p.55).
Dans l’ouvrage coordonné par Bernard Lahire, on observe
précisément comment se construisent les inégalités dans les apprentissages
scolaires. « Les temps de primes socialisations jouent un rôle décisif
dans la formation des premières dispositions mentales et comportementales
(disposition à agir, percevoir, penser, sentir, apprécier, etc.) qui vont les
marquer durablement. Or, ces dispositions ne sont jamais « neutres »
socialement : elles constituent autant de ressources économiques,
culturelles, scolaires, langagières, morales, corporelles ou sanitaires, ou, au
contraire, des obstacles ou ce qu’il faut bien nommer des handicaps à la
réussite tant scolaire ou professionnelle. » (p.13)
L’ouvrage (un gros ouvrage de près de 1200 pages) se
décompose en trois parties : une première partie, un peu théorique présent
les hypothèses de la recherche et la méthodologie avec une centaine de
pages ; la seconde partie consiste en une présentation extrêmement
détaillée de 18 situations, sur une cinquantaine de pages chacune, d’enfants de
classes populaires, de classes moyennes et de classes supérieures ; la
dernière partie enfin présente des « conclusions » sociologiques
thématiques des facteurs d’influence des types de scolarisation des enfants en
fonction de leur conditions matérielles, de leurs habitudes de vie et de leurs
contextes culturels.
Tous ceux qui s’intéressent à l’inclusion ou à l’école
inclusive, ceux qui s’en préoccupent, ceux qui tentent de la développer, ceux
qui se battent pour que l’école devienne plus inclusive auraient intérêt à
prendre connaissance des données, constats et analyses de cet ouvrage. Pour
comprendre que l’inclusion ne concerne pas que les enfants en situation de
handicap, que d’autres élèves n’ont pas accès, pour différentes raisons
sociales, culturelles, matérielles, aux bénéfices que pourrait apporter l’école
pour faire une société vivable pour tous, qu’il y a certaines aberrations à
penser que l’inclusion des élèves en situation de handicap peut se réaliser
dans l’état d’exclusion dans lequel se trouvent certains enfants pendant que
d’autres en tirent un super bénéfice, ce que décrit bien l’ouvrage.
Parmi les nombreuses présentations de l’ouvrage, je retiens
celle publiée par Jean-Marie Pottier dans la revue Sciences Humaines (avril
2020), intitulée La reproduction commence à la maternelle, dont je
reprends ci-dessous la plus grande partie.
« L’école maternelle n’est pas qu’un jeu
d’enfant », et il « ne se joue pas qu’à hauteur d’enfant. »
De 2014 à 2018, une équipe de dix-sept sociologues dirigée par Bernard Lahire,
un héritier critique de Pierre Bourdieu, a mené l’enquête auprès de trente-cinq
enfants de grande section de maternelle dans différentes villes de France, en
menant à la fois des entretiens avec les parents et des exercices langagiers
avec les enfants. L’objectif ? Appréhender la dimension de classe sociale
dans toutes les composantes de l’enfance : organisation du temps,
pratiques culturelles et sportives, vêtements, alimentation, et, évidemment,
premières expériences scolaires. […]
L’importance du capital culturel est rappelée, qui fait que les enfants
se retrouvent « inégalement dotés d’expériences culturelles
scolairement et socialement rentables ». Culturel, et surtout
« langagier », c’est-à-dire hérité des pratiques de lectures des
parents ou de leur habitude de prendre la parole en public dans leur cadre
professionnel. […] L’ouvrage montre également à quel point l’habitus des
enfants peut se retrouver plus ou moins « bien » façonné pour
l’entrée à l’école. C’est le cas par exemple, en matière de discipline, selon
que les parents préfèrent intervenir au cas par cas de manière immédiate ou, à
l’inverse, fixer des règles générales qui inciteront leur enfant à se comporter
de manière autonome. Le cas aussi, plus généralement, en matière de rapport au
monde, les parents se montrant plus ou moins enclins, vis-à-vis de leurs
enfants, à « pédagogiser la vie », c’est-à-dire à les inciter
à exercer leur raisonnement ou leur capacité d’interrogation au quotidien en
dehors du cadre scolaire. L’ouvrage fait aussi le constat de stratégies de
scolarisation propres aux classes supérieures, comme l’apprentissage anticipé
de la lecture ou le choix précoce du privé. »
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