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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

lundi 20 décembre 2021

lecture : Enfances de classes

Enfances de classe - De l'inégalité parmi les enfants

sous la direction de Bernard LAHIRE ( Seuil, 2019)

Depuis plus d’un demi siècle (depuis les ouvrages de Bourdieu et Passeron, Les héritiers et La reproduction), le rôle de l’école dans la reproduction des classes sociales a maintes fois été mis en évidence. Personne ne peut plus prétendre aujourd’hui que le mérite républicain est en mesure de modifier radicalement le fait que les enfants reproduisent au sein de l’école leur destin d’origine de classe, avec quelques nuances permettant d’invalider un déterminisme absolu. Les effets de cette fonction de l’école se vérifie aussi dans les études politiques et économiques sur le fonctionnement de la société dans les problématiques d’ascension sociale.

Les enfants, en effet, n’arrivent pas à égalité à l’école. « Alors que les uns accumulent les ressources économiques, matérielles, morales, culturelles, langagières, scolaires, corporelles et sanitaires, d’autres cumulent les handicaps ou les obstacles par rapport aux normes dominantes : pratiques langagières plus ou moins conformes aux exigences scolaires, rapport à l’écrit plus ou moins travaillé (par des lectures d’histoires, le souci de prononciation « correcte » des mots, un apprentissage des lettres…), apprentissage plus ou moins précoce des langues étrangères, et notamment de la langue anglaise, jeux plus ou moins pédagogiques, pratiques culturelles plus ou moins légitimes, souci de soi – corporels, vestimentaires, sanitaires et diététiques – plus ou moins présents, construction d’une plus ou moins grande estime de soi ou de confiance en soi, constitution plus ou moins marquée de dispositions ascétiques, combatives, compétitives ou obéissantes, initiation plus ou moins précoce à la gestion de l’argent, au leadership, etc. » (p.55).

Dans l’ouvrage coordonné par Bernard Lahire, on observe précisément comment se construisent les inégalités dans les apprentissages scolaires. « Les temps de primes socialisations jouent un rôle décisif dans la formation des premières dispositions mentales et comportementales (disposition à agir, percevoir, penser, sentir, apprécier, etc.) qui vont les marquer durablement. Or, ces dispositions ne sont jamais « neutres » socialement : elles constituent autant de ressources économiques, culturelles, scolaires, langagières, morales, corporelles ou sanitaires, ou, au contraire, des obstacles ou ce qu’il faut bien nommer des handicaps à la réussite tant scolaire ou professionnelle. » (p.13)

L’ouvrage (un gros ouvrage de près de 1200 pages) se décompose en trois parties : une première partie, un peu théorique présent les hypothèses de la recherche et la méthodologie avec une centaine de pages ; la seconde partie consiste en une présentation extrêmement détaillée de 18 situations, sur une cinquantaine de pages chacune, d’enfants de classes populaires, de classes moyennes et de classes supérieures ; la dernière partie enfin présente des « conclusions » sociologiques thématiques des facteurs d’influence des types de scolarisation des enfants en fonction de leur conditions matérielles, de leurs habitudes de vie et de leurs contextes culturels.

Tous ceux qui s’intéressent à l’inclusion ou à l’école inclusive, ceux qui s’en préoccupent, ceux qui tentent de la développer, ceux qui se battent pour que l’école devienne plus inclusive auraient intérêt à prendre connaissance des données, constats et analyses de cet ouvrage. Pour comprendre que l’inclusion ne concerne pas que les enfants en situation de handicap, que d’autres élèves n’ont pas accès, pour différentes raisons sociales, culturelles, matérielles, aux bénéfices que pourrait apporter l’école pour faire une société vivable pour tous, qu’il y a certaines aberrations à penser que l’inclusion des élèves en situation de handicap peut se réaliser dans l’état d’exclusion dans lequel se trouvent certains enfants pendant que d’autres en tirent un super bénéfice, ce que décrit bien l’ouvrage.

Parmi les nombreuses présentations de l’ouvrage, je retiens celle publiée par Jean-Marie Pottier dans la revue Sciences Humaines (avril 2020), intitulée La reproduction commence à la maternelle, dont je reprends ci-dessous la plus grande partie.

« L’école maternelle n’est pas qu’un jeu d’enfant », et il « ne se joue pas qu’à hauteur d’enfant. » De 2014 à 2018, une équipe de dix-sept sociologues dirigée par Bernard Lahire, un héritier critique de Pierre Bourdieu, a mené l’enquête auprès de trente-cinq enfants de grande section de maternelle dans différentes villes de France, en menant à la fois des entretiens avec les parents et des exercices langagiers avec les enfants. L’objectif ? Appréhender la dimension de classe sociale dans toutes les composantes de l’enfance : organisation du temps, pratiques culturelles et sportives, vêtements, alimentation, et, évidemment, premières expériences scolaires. […]  L’importance du capital culturel est rappelée, qui fait que les enfants se retrouvent « inégalement dotés d’expériences culturelles scolairement et socialement rentables ». Culturel, et surtout « langagier », c’est-à-dire hérité des pratiques de lectures des parents ou de leur habitude de prendre la parole en public dans leur cadre professionnel. […] L’ouvrage montre également à quel point l’habitus des enfants peut se retrouver plus ou moins « bien » façonné pour l’entrée à l’école. C’est le cas par exemple, en matière de discipline, selon que les parents préfèrent intervenir au cas par cas de manière immédiate ou, à l’inverse, fixer des règles générales qui inciteront leur enfant à se comporter de manière autonome. Le cas aussi, plus généralement, en matière de rapport au monde, les parents se montrant plus ou moins enclins, vis-à-vis de leurs enfants, à « pédagogiser la vie », c’est-à-dire à les inciter à exercer leur raisonnement ou leur capacité d’interrogation au quotidien en dehors du cadre scolaire. L’ouvrage fait aussi le constat de stratégies de scolarisation propres aux classes supérieures, comme l’apprentissage anticipé de la lecture ou le choix précoce du privé. »

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