ULIS : une ségrégation aménagée
Les ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) sont les héritières des CLIS (Classes d’Intégration scolaire). Elles ont gardé de cet héritage un certain nombre d’éléments, et ont quand même modifié leur fonctionnement correspondant aux nouvelles politiques inclusives. Elles sont présentées aujourd’hui, dans le discours politique et gouvernemental, dans la presse, dans les associations, dans le public, comme la concrétisation d’un mouvement ou d’un état de fait inclusifs, comme la marque d’une école plus inclusive, comme le témoignage de la fin de la ségrégation scolaire. Ainsi en va-t-il de l’autosatisfaction à voir croître le nombre d’ULIS ou des revendications d’en créer davantage.
Mais est-ce bien sûr que les ULIS participent d’une
évolution radicale transformant un système éducatif ségrégatif en système
éducatif inclusif ? Quel est le fonctionnement social et institutionnel
d’une ULIS dans un établissement scolaire ? Certes, il ne s’agit plus
d’une classe fermée, telles les CLIS, où l’enseignement était par nature
spécialisé (prenant prétexte de besoins spécifiques et excluant l’idée que ces
besoins fussent en grande partie les mêmes que ceux des élèves ordinaires).
Mais les élèves qui en font partie, qui y sont affectés par une instance
administrative externe spécifique (la MDPH), participent-ils vraiment à la vie
scolaire et sociale de l’établissement, dans lequel ils sont présents, au même
titre que les autres élèves ?
Les élèves d’une ULIS ne sont pas identifiés comme étant « un
CM 1 » ou « une 4ième ». C’est « un
ulis ». D’ailleurs comment se nomment-ils eux-mêmes et comment
ressentent-ils cette situation particulière d’être de l’établissement scolaire
et d’être dans ce dispositif qu’ils savent bien être ce qui les distingue des
autres ? Le dispositif, le parcours, le statut sont identifiés comme étant
à part. Les élèves ne sont pas de « vrais » élèves, ils sont à
l’intérieur du dispositif physique, mais n’en font pas vraiment partie, ou
alors ils en font partie de manière particulière, comme en visite permanente. Nombreux
sont les témoignages attestant de cette place si ambigüe : refus de la
présence des enfants handicapés dans la classe (par défaut d’AESH, par écart
avec les compétences des autres, par incompétence avancée à enseigner à de tels
enfants, …), accueil indifférent (présence tolérée sans véritable accueil, sans
concertation avec d’autres professionnels, …), absence d’aménagement
pédagogique pour s’adapter aux besoins de ces élèves, etc. Le dispositif
garantit en définitive des frontières localisées entre l’ensemble des élèves de
l’établissement scolaire et ceux qui dépendent des ULIS.
Là où les frontières étaient brutalement inscrites dans la
société lorsqu’elles mettaient complètement hors du système éducatif les élèves
handicapés dans des établissements spécialisés ghettos, ici avec les ULIS elles
deviennent moins brutales, dans la mesure où elles s’internalisent à
l’intérieur du système avec la constitution de groupes de fonctionnement, les
classes ordinaires et les ULIS, reproduisant ce que Bourdieu avait théorisé
comme une exclusion de l’intérieur à propos des lycées professionnels. (On pourrait
d’ailleurs en dire autant des SEGPA, section d’enseignement général et
professionnel adapté, dont historiquement les frontières ont toujours été à
l’intérieur de l’organisation scolaire.)
Reconnaissons-le : les ULIS rompent avec une
ségrégation brutale et complète telle qu’elle avait été mis en place dans le
cadre de l’éducation spécialisée. Et le système éducatif se préoccupe enfin de
mettre en place des dispositifs de scolarisation dans son propre fonctionnement.
Au moins les élèves sont-ils présents avec les autres enfants de leur âge. Mais
il ne s’agit nullement d’inclusion ou de système éducatif inclusif. C’est la
poursuite d’une ségrégation de fond, même si elle est plus « cool ».
Elle est une ségrégation adaptée, aménagée à l’intérieur du système. Il n’y pas
lieu de s’en satisfaire, elle ne relève pas de l’inclusion.
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