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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 9 juin 2021

Lecture : Le goût de l'effort, de Sandrine Garcia

 Le goût de l'effort - La construction familiale des dispositions scolaires

de Sandrine GARCIA, PUF, 2018

Parmi les obstacles à la transformation du système scolaire en système inclusif d’éducation, il en est un qui ne fait pas la une des journaux, celui du fonctionnement élitiste de l’école. L’ouvrage de Sandrine Garcia ne parle pas d’inclusion des élèves en situation de handicap, mais de la manière dont des familles de classes moyennes ou moyennes supérieures fonctionnent pour faire réussir (ou moins réussir) leurs enfants. Cela permet, par contraste, de pointer des éléments qui font « échouer » des élèves handicapés, qui ne sont pas en capacité de se conformer à ces bonnes conditions de scolarisation. Sans entrer dans le détail des modalités d’étayage à la scolarisation choisies par ces familles, notons que les dispositions de réussite qualifiées de « naturelles » ou spontanées sont en réalité l’objet d’un réel travail parental, qui permet dans certaines conditions, de garantir la réussite scolaire, et dans d’autres conditions de faire rencontrer des difficultés scolaires à leur enfant, celles-ci facilement traduites en troubles des apprentissages. « On sous-estime largement, dit l’auteur, le travail parental réalisé dans les classes moyennes et supérieures dans l’accompagnement éducatif de leurs enfants et que celui-ci comporte une part de travail scolaire (et pas seulement « culturelle ») qui est déterminante dans leur réussite à l’école. » (p.14).


Le livre se présente comme la relation sociologique d’entretiens effectués avec différentes familles et l’analyse des représentations, attitudes, comportements, stratégies, modalités éducatives, pratiques, et activités de ces parents avec leurs enfants. Il apparait à travers ces présentations et ces analyses que les discours d’épanouissement, d’autonomie, de créativité ou de liberté, propres aux milieux des classes moyennes et supérieures, s’adjoignent des attitudes et des stratégies interventionnistes et proprement scolaires favorisant non seulement les apprentissages scolaires, mais aussi l’appropriation des normes de la réalité de l’école, comme la persévérance, la capacité d’attention, le goût de l’effort. A cela s’ajoutent les postures maintenant un équilibre performant entre connivence et non empiètement avec l’école. Et c’est bien la somme de tous ces éléments qui conditionnent les bonnes dispositions scolaires. « On voudrait insister ici sur les investissements pédagogiques quotidiens de ces parents [des classes moyennes supérieures], qui leur permettent à la fois de renforcer les apprentissages, voire dans certains cas de les anticiper, tout en tenant un discours selon lequel ils ne « poussent pas » leurs enfants, veillent d’abord à leur épanouissement, sont d’abord attentifs à développer leur autonomie, et ne valorisent pas la compétition entre les enfants. Cette pédagogisation de la vie quotidienne, présente dans la plupart des familles à des degrés divers, constitue pourtant une manière spécifique d’entrer et de placer ses enfants dans la compétition scolaire. Elle permet tant aux enfants qu’aux parents de se distinguer, les premiers par les résultats scolaire qu’ils obtiennent et les seconds, par la compétence éducative qu’ils manifestent et qu’ils savent visibiliser. » (p.134).

Dans c
et environnement, ce qui compte aussi, ce sont les bonnes stratégies d’anticipation de la scolarisation. C’est là qu’interviennent des choix qui de fait sont susceptibles d’interroger les politiques dites inclusives. Les familles qui font ces choix, conscients ou inconscients, d’étayage des bonnes dispositions scolaires font aussi en sorte que leur enfant puisse investir dans l’école, et ne rencontre pas d’obstacles en la personne d’autres élèves qui ne seraient pas sur les mêmes dispositions. Les choix d’un établissement scolaire privé, de contournement de la carte scolaire, d’options en collège, des établissements d’excellence (et dans ceux-ci les classes d’excellence), permettent en effet de prendre place dans des entre-soi d’élèves ayant de bonnes dispositions scolaires. Et comme l’exprime cette mère (faisant partie de la classe moyenne supérieure) : « Après je sais qu’en prenant certaines options … enfin, c’est malheureux de dire ça, mais ça marche comme ça. Je pense que pour Naël [son fils, en CM1] je vais me renseigner l’année prochaine. Après, c’est pas une question d’élite ou pas élite, mais de gros problèmes ou pas ».

Mais il ne suffit pas d’incriminer les parents. On voit bien dans ces exemples que c’est bien le fonctionnement du système qui se trouve être en écho, ou à l’origine, avec ces pratiques. C’est le système éducatif dans son ensemble, dans son fonctionnement même, avec les acteurs qui le composent, qui fait obstacle à tout projet inclusif, si celui-ci s’entend du moins comme la volonté que chacun puisse tirer bénéfice de l’éducation à égalité avec les autres et comme un dispositif qui n’exclut pas, qui ne discrimine pas. Les parents des classes moyennes et moyennes supérieures soucieux de faire absolument réussir leur enfant en mettant en place les bonnes dispositions scolaires, et ceci en se distinguant d’autres familles, trouvent dans le système éducatif les conditions de réaliser cette différenciation sociale et la pérennité d’un élitisme excluant de la réussite scolaire une grande partie des enfants. L’organisation politique de l’éducation tolère ou favorise ce type de ségrégation, les enseignants eux-mêmes adhérant à ce type de représentation et à ces choix, faisant eux-mêmes partie des catégories moyennes ou moyennes supérieures. « Les enseignants présupposent qu’il faut délester l’élève de difficultés psychologiques auxquelles sont imputés les problèmes d’apprentissage pour le rendre « disponible pour apprendre ». Cette doxa les empêche de penser les situations d’apprentissage comme étant à l’origine des difficultés scolaires. » (p.175).

Cet environnement (représentations, politiques, stratégies de classes) ségrégatif et élitiste discrimine de fait ceux qui ne sont pas dans de bonnes dispositions scolaires, les enfants en difficultés ou en échec, les enfants de milieux populaires qui n’ont pas les codes et les attitudes pour garantir la réussite et la mise en place de ces bonnes dispositions. « Les enfants s’approprient des savoirs scolaires, mais tout autant des postures, tandis que d’autres […] dont les parents ne font pas un tel travail sont décrits comme posant « des problèmes de comportement », « d’agitation », de « manque de concentration ». (p.89). Dans ce même cadre, les enfants en situation de handicap, « une question de gros problèmes ou pas », sont, comme les précédents, ceux qui restent sur le bord du chemin au sein d’une école qui, comme nous en informe les évaluations PISA, est excellente pour les bons et très bons élèves, et mauvais pour les élèves en difficultés. Finalement, ces élèves d’origine populaire, tout autant que les élèves en situation de handicap, en voyant leurs difficultés reléguées à des réponses en dehors de l’institution scolaire pour y trouver des solutions, font l’objet d’une « double peine », celle de ne pas réussir à l’école, et celle d’avoir moins de temps scolaire. « Face à ces élèves capables de réaliser l’idéal scolaire, les autres, moins familialement dotés, forment un vaste marché pour tous les spécialistes en troubles divers, vers lesquels ils sont massivement orientés, sans qu’aucune critique de la médicalisation ne vienne aujourd’hui contrecarrer ces formes renouvelées de l’idéologie du don. Aux temps « denses » scolaires et hors scolaires des élèves culturellement favorisés, se superpose celui des élèves de classes populaires et d’une partie des classes moyennes intermédiaires vouées à perdre du terrain scolaire et à passer du temps dans les lieux de remédiation, parfois pendant les heures scolaires ou pendant celles que d’autres consacrent à leurs devoirs. » (p.212).

On ne peut manquer de trouver étrange une école qui s’auto-qualifie d’inclusive, qui s’en auto-congratule parfois, et qui permet, cautionne et renferme des mécanismes permettant un fonctionnement élitiste qui de fait exclut ceux, enfants et parents, qui ne sont pas n’entrent pas en conformité avec ces fonctionnements.

Ce livre a été le lauréat 2019 du prix de l’écrit social, prix étudiant (ARIFTS, 44 REZE)

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