Le goût de l'effort - La construction familiale des dispositions scolaires
de Sandrine GARCIA, PUF, 2018
Parmi les obstacles à la transformation du système scolaire
en système inclusif d’éducation, il en est un qui ne fait pas la une des journaux,
celui du fonctionnement élitiste de l’école. L’ouvrage de Sandrine Garcia ne
parle pas d’inclusion des élèves en situation de handicap, mais de la manière
dont des familles de classes moyennes ou moyennes supérieures fonctionnent pour
faire réussir (ou moins réussir) leurs enfants.
Cela permet, par contraste, de
pointer des éléments qui font « échouer » des élèves handicapés, qui
ne sont pas en capacité de se conformer à ces bonnes conditions de
scolarisation. Sans entrer dans le détail des modalités d’étayage à la
scolarisation choisies par ces familles, notons que les dispositions de
réussite qualifiées de « naturelles » ou spontanées sont en réalité
l’objet d’un réel travail parental, qui permet dans certaines conditions, de
garantir la réussite scolaire, et dans d’autres conditions de faire rencontrer
des difficultés scolaires à leur enfant, celles-ci facilement traduites en
troubles des apprentissages. « On sous-estime largement, dit
l’auteur, le travail parental réalisé dans les classes moyennes et
supérieures dans l’accompagnement éducatif de leurs enfants et que celui-ci
comporte une part de travail scolaire (et pas seulement
« culturelle ») qui est déterminante dans leur réussite à l’école. »
(p.14).
Le livre se présente comme la relation sociologique
d’entretiens effectués avec différentes familles et l’analyse des
représentations, attitudes, comportements, stratégies, modalités éducatives,
pratiques, et activités de ces parents avec leurs enfants. Il apparait à
travers ces présentations et ces analyses que les discours d’épanouissement,
d’autonomie, de créativité ou de liberté, propres aux milieux des classes
moyennes et supérieures, s’adjoignent des attitudes et des stratégies
interventionnistes et proprement scolaires favorisant non seulement les
apprentissages scolaires, mais aussi l’appropriation des normes de la réalité
de l’école, comme la persévérance, la capacité d’attention, le goût de
l’effort. A cela s’ajoutent les postures maintenant un équilibre performant
entre connivence et non empiètement avec l’école. Et c’est bien la somme de
tous ces éléments qui conditionnent les bonnes dispositions scolaires. « On
voudrait insister ici sur les investissements pédagogiques quotidiens de ces
parents [des classes moyennes supérieures], qui leur permettent à la fois de
renforcer les apprentissages, voire dans certains cas de les anticiper, tout en
tenant un discours selon lequel ils ne « poussent pas » leurs
enfants, veillent d’abord à leur épanouissement, sont d’abord attentifs à développer
leur autonomie, et ne valorisent pas la compétition entre les enfants. Cette
pédagogisation de la vie quotidienne, présente dans la plupart des familles à
des degrés divers, constitue pourtant une manière spécifique d’entrer et de
placer ses enfants dans la compétition scolaire. Elle permet tant aux enfants
qu’aux parents de se distinguer, les premiers par les résultats scolaire qu’ils
obtiennent et les seconds, par la compétence éducative qu’ils manifestent et
qu’ils savent visibiliser. » (p.134).
Dans c
et environnement, ce qui compte aussi, ce sont les
bonnes stratégies d’anticipation de la scolarisation. C’est là qu’interviennent
des choix qui de fait sont susceptibles d’interroger les politiques dites
inclusives. Les familles qui font ces choix, conscients ou inconscients,
d’étayage des bonnes dispositions scolaires font aussi en sorte que leur enfant
puisse investir dans l’école, et ne rencontre pas d’obstacles en la personne
d’autres élèves qui ne seraient pas sur les mêmes dispositions. Les choix d’un établissement
scolaire privé, de contournement de la carte scolaire, d’options en collège,
des établissements d’excellence (et dans ceux-ci les classes d’excellence),
permettent en effet de prendre place dans des entre-soi d’élèves ayant de
bonnes dispositions scolaires. Et comme l’exprime cette mère (faisant partie de
la classe moyenne supérieure) : « Après je sais qu’en prenant
certaines options … enfin, c’est malheureux de dire ça, mais ça marche comme
ça. Je pense que pour Naël [son fils, en CM1] je vais me renseigner l’année
prochaine. Après, c’est pas une question d’élite ou pas élite, mais de gros
problèmes ou pas ».
Mais il ne suffit pas d’incriminer les parents. On voit bien
dans ces exemples que c’est bien le fonctionnement du système qui se trouve
être en écho, ou à l’origine, avec ces pratiques. C’est le système éducatif
dans son ensemble, dans son fonctionnement même, avec les acteurs qui le
composent, qui fait obstacle à tout projet inclusif, si celui-ci s’entend du
moins comme la volonté que chacun puisse tirer bénéfice de l’éducation à
égalité avec les autres et comme un dispositif qui n’exclut pas, qui ne
discrimine pas. Les parents des classes moyennes et moyennes supérieures
soucieux de faire absolument réussir leur enfant en mettant en place les bonnes
dispositions scolaires, et ceci en se distinguant d’autres familles, trouvent
dans le système éducatif les conditions de réaliser cette différenciation
sociale et la pérennité d’un élitisme excluant de la réussite scolaire une
grande partie des enfants. L’organisation politique de l’éducation tolère ou
favorise ce type de ségrégation, les enseignants eux-mêmes adhérant à ce type
de représentation et à ces choix, faisant eux-mêmes partie des catégories
moyennes ou moyennes supérieures. « Les enseignants présupposent qu’il
faut délester l’élève de difficultés psychologiques auxquelles sont imputés les
problèmes d’apprentissage pour le rendre « disponible pour
apprendre ». Cette doxa les empêche de penser les situations d’apprentissage
comme étant à l’origine des difficultés scolaires. » (p.175).
Cet environnement (représentations, politiques, stratégies
de classes) ségrégatif et élitiste discrimine de fait ceux qui ne sont pas dans
de bonnes dispositions scolaires, les enfants en difficultés ou en échec, les
enfants de milieux populaires qui n’ont pas les codes et les attitudes pour
garantir la réussite et la mise en place de ces bonnes dispositions. « Les
enfants s’approprient des savoirs scolaires, mais tout autant des postures,
tandis que d’autres […] dont les parents ne font pas un tel travail sont
décrits comme posant « des problèmes de comportement »,
« d’agitation », de « manque de concentration ».
(p.89). Dans ce même cadre, les enfants en situation de handicap, « une
question de gros problèmes ou pas », sont, comme les précédents, ceux
qui restent sur le bord du chemin au sein d’une école qui, comme nous en
informe les évaluations PISA, est excellente pour les bons et très bons élèves,
et mauvais pour les élèves en difficultés. Finalement, ces élèves d’origine
populaire, tout autant que les élèves en situation de handicap, en voyant leurs
difficultés reléguées à des réponses en dehors de l’institution scolaire pour y
trouver des solutions, font l’objet d’une « double peine », celle de
ne pas réussir à l’école, et celle d’avoir moins de temps scolaire. « Face
à ces élèves capables de réaliser l’idéal scolaire, les autres, moins
familialement dotés, forment un vaste marché pour tous les spécialistes en
troubles divers, vers lesquels ils sont massivement orientés, sans qu’aucune
critique de la médicalisation ne vienne aujourd’hui contrecarrer ces formes
renouvelées de l’idéologie du don. Aux temps « denses » scolaires et
hors scolaires des élèves culturellement favorisés, se superpose celui des
élèves de classes populaires et d’une partie des classes moyennes
intermédiaires vouées à perdre du terrain scolaire et à passer du temps dans
les lieux de remédiation, parfois pendant les heures scolaires ou pendant
celles que d’autres consacrent à leurs devoirs. » (p.212).
On ne peut manquer de trouver étrange une école qui
s’auto-qualifie d’inclusive, qui s’en auto-congratule parfois, et qui permet,
cautionne et renferme des mécanismes permettant un fonctionnement élitiste qui
de fait exclut ceux, enfants et parents, qui ne sont pas n’entrent pas en
conformité avec ces fonctionnements.
Ce livre a été le lauréat 2019 du prix de l’écrit social,
prix étudiant (ARIFTS, 44 REZE)
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