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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 27 janvier 2021

l'admirable négation du handicap

L'admirable négation du handicap

Les meilleurs handicapés, les plus méritants, ceux qui font l’admiration du public et des médias, sont ceux qui ont réussi à surmonter, compenser, réduire, supprimer les caractéristiques personnelles qui justement fondaient leur handicap. L’exploit du handicapé serait d’avoir dépassé ou nié matériellement ou symboliquement sa déficience ou son incapacité. A l’heure de la reconnaissance de la diversité humaine et de sa neurodiversité, de la reconnaissance des droits d’égalité des personnes en situation de handicap, de la recherche de la valorisation de leurs rôles sociaux, de la volonté d’accessibilité pour adapter les environnements pour leur donner une juste place, il est paradoxal de voir célébrer des valeurs qui en définitive indiquent que malgré tout une personne handicapée qui garde ses caractéristiques de déficience et d’incapacités a moins de valeur que celle qui « gagne » sur ou contre ces caractéristiques.

Le médecin qui rend l’ouïe aux sourds et les fait entendre, celui qui guérit les aveugles (non, ici il ne s’agit pas de Jésus !) restent des figures admirables car elles sont celles qui rendent les personnes handicapées au monde, ce monde « ordinaire » considéré comme celui auquel il faut accéder, comme celui qui témoigne de la normalité humaine, en négation avec le respect de la vie humaine considérée dans sa diversité.

Dans l’espace public médiatique, quoi de plus admirable en effet qu’un sourd profond qui écoute de la musique classique (le monde normal est celui qui apprécie Mozart), qui devient avocat (dont la tâche est justement de maitriser l’élocution) ou encore qui « parle normalement » (c’est-à-dire en utilisant la langue orale) ? Bien sûr la langue des signes est reconnue, mais davantage comme objet esthétique que comme langue de droit des Sourds, comme en témoigne les difficultés de son utilisation dans l’éducation des jeunes sourds. Quoi de plus admirable qu’un aveugle qui fait de la photo ou qui skie sur des pistes enneigées ? Quoi de plus admirable qu’une personne ayant une déficience motrice qui devient un athlète dans un sport individuel ou collectif ? Quoi de plus admirable qu’une personne ayant une trisomie 21 et qui fait des études secondaires et supérieures (ou même qui devient enseignante, comme c’est le cas pour une personne en Argentine) ?

Bien évidemment ces situations sont admirables, et d’un certain point de vue elles favorisent des changements de représentations, permettant une meilleure reconnaissance des personnes en situations de handicap. Ainsi les jeux paralympiques ont-ils contribué à donner une bonne image d’une réalité diverse. Découvrir qu’une personne ayant une trisomie 21 peut faire des études rompt avec l’habitude de les penser comme ayant tous systématiquement une incapacité intellectuelle identique et en conséquence un même destin de travailleur handicapé dans un établissement spécialisé. De tels exemples, repris dans la presse, contribuent à une sensibilisation à leurs droits à une place pleine et entière dans la société.

Mais c’est en même temps du validisme (le validisme est une forme de préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap, un point de vue valide), mais un validisme inversé. Parler d’une personne en situation de handicap en disant « Oh la pauvre ! » est du même registre que l’héroïsation de celles qui ont justement surmonté ou dépassé les caractéristiques qui précisément font partie de la personne, et dont l’interaction avec l’environnement peuvent produire des situations de handicap. Ce qui est nié dans cette représentation, c’est en quelque sorte la nature d’une situation de handicap. L’exploit individuel (de celui qui guérit ou de celui qui dépasse sa condition) est ce qui justifie du maintien dans les normes inchangées de la normalité : il vaut mieux dépasser sa condition handicapée en gagnant sur ses caractéristiques, qui sont pensées dans ce contexte comme des caractéristiques « négatives », « déviantes », « sous-humaines ». Le destin de tout handicapé serait de devenir ce héros accédant au monde normal !

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