"T'iras à la table des handicapés !"
Plus précisément : « Si t’arrêtes pas tes bêtises,
t’iras manger à la table des handicapés ! ». Tel est le propos qui
fut tenu par une agente de service de restauration en école maternelle, et qui
me fut rapporté par une éducatrice outrée, il y a de cela quelques années. Dans
cette école maternelle, il existait ce que l’on nomme aujourd’hui une unité
d’enseignement externalisée, accueillant quelques enfants sourds, de la petite
section à la grande section. Ces jeunes sourds étaient régulièrement inclus
dans leurs classes d’appartenance, accompagnés de leurs enseignants spécialisés
ou d’interfaces en langue des signes. Sur le temps de restauration scolaire,
ils étaient regroupés à une table, où s’installait également leur éducatrice
spécialisée.
Mais jeter la pierre à l’auteure du propos ne suffit pas.
Car les contextes environnementaux dans lesquels s’inscrivit ce propos est
aussi en mesure de laisser libre cours à ce type d’attitude.
On peut remarquer tout d’abord que ces jeunes élèves sourds
sont regroupés à une table, ce qui les désigne spatialement (et socialement)
comme groupe spécifique, et ceci d’autant plus que, contrairement aux autres
élèves qui s’installent aux tables par classes, ceux-ci sont regroupés des plus
petits aux plus grands, en tant que groupe « spécial ». L’on pourra
objecter que, en raison de leur communication, les jeunes sourds ont un intérêt
à se regrouper pour pouvoir échanger, et c’est exact. Mais comme cette
disposition est aussi en place pour des enfants qui présentent d’autres types
de situations de handicap, on peut penser qu’il s’agit d’un dispositif de
regroupement habituel et peut-être impensé.
La présence d’une éducatrice, seule professionnelle à
déjeuner à table avec des enfants, ne manque pas non plus d’interroger sur la
place de ces jeunes sourds dans l’école, et sur les représentations
conséquentes des autres élèves et des personnels de restauration, comme si
contrairement aux autres, ils ne pouvaient manger seuls.
Si ces dispositifs fonctionnent ainsi, c’est aussi parce
que, à un plus haut niveau, les différentes institutions régulent la présence
d’enfants en situation de handicap selon des normes et des valeurs favorisant
la stigmatisation. Dans la situation évoquée dans ce texte, l’administration de
l’éducation nationale comme les services techniques de la municipalité avaient
refusé, depuis de nombreuses années, l’inscription pleine et entière de ces
enfants à l’école (sous le prétexte de l’impossibilité d’une mythique double
inscription). Les services péri-scolaires et les professionnels de
l’établissement spécialisé estimaient nécessaire et même obligatoire la
présence permanente de professionnels spécialisés dans tous les actes de la vie
de ces élèves.
Dans un tel contexte à visée inclusive mais à fonctionnement
ségrégatif, il n’est pas étonnant, même si c’est intolérable, de rencontrer de
tels propos de ségrégation.
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