Le séparatisme fantasmé pour les handicapés
Si un regard historique fait apparaitre que des dispositifs
divers ont permis d’éduquer des enfants qui n’avaient pas leur place dans le
système éducatif légitime de son temps (les sourds et les aveugles au XVIIIe
siècle, les autres handicapés ensuite, mais aussi au long de cette
histoire, les pauvres et les filles), il fait apparaitre aussi que ces
dispositifs légitimaient une ségrégation éducative, au moins pour certaines de
ces populations. Dans ce cadre, des pratiques professionnelles, relationnelles,
organisationnelles, de ségrégation, de stigmatisation, de séparatisme étaient
mises en place et perçues comme légitimes, comme allant de soi, naturelles,
« normales ».
Affirmer ainsi que la société est « raciste » envers
les personnes handicapées peut apparaitre comme une affirmation quelque peu
provocatrice, quand les organisations internationales comme le discours
national célèbrent les droits des personnes handicapées et les ambitions
inclusives. Mais le racisme, à plus forte raison lorsqu’il est souterrain, ne
concerner pas la seule frontière de la couleur de peau ou de l’origine
géo-culturelle : Il fonctionne à plein dans les frontières qui opposent
les handicapés aux valides, ou les riches aux pauvres.
Un ouvrage récent (de S. Paugam et al, : Ce que les
riches pensent des pauvres, Seuil 2017) permet, à partir de l’exemple des
frontières entre la richesse et la pauvreté, de voir comment fonctionne une
certaine forme de racisme, et ainsi d’avoir une lecture comparative, avec un
pas de côté, sur une autre forme de racisme, celui des valides envers les
personnes handicapées. Les auteurs y examinent, à travers des enquêtes en
France, au Brésil et en Inde, ce qu’ils identifient comme « un racisme de classe, fondé sur la croyance
que les pauvres forment une humanité distincte, et que dans ces conditions, la
solution de séparatisme est la meilleure. » Dans ce modèle de
supériorité des riches, la pauvreté est justifiée pour différentes raisons,
assimilée à certaines caractéristiques comme le manque d’hygiène ou la paresse,
le symbole de l’échec social, de la déchéance morale. Aussi les pauvres
sont-ils appelés à se prendre en charge eux-mêmes sous peine d’être
légitimement exclus, et la méritocratie constitue la règle morale de la
répartition de la richesse.
Quel rapport avec les situations des personnes handicapées
dans un monde de valides ? On observe partiellement les mêmes champs
sémantiques (de la méritocratie ou des efforts à faire), la légitimation de
l’état (pour des raisons biologiques ou sociales), et conséquences
structurelles, l’assignation des personnes handicapées au-delà de la frontière
des valides avec, par exemple, la persistance des organisations ségrégatives
« spécialisées » par exclusion de ces personnes du fonctionnement
habituel.
Que pensent les valides des handicapés ? Bien souvent
encore, que les personnes handicapées, en raison de leurs caractéristiques,
devraient être en quelque sorte éloignées, qu’elles ne « sont pas tout à
fait de notre monde » (« ils n’ont rien à faire dans ma
classe »). L’horizon d’une école inclusive est encore lointain.
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