Regards croisés et inflation assistantielle
L’approche globale de la personne, à l’appui d’équipes pluri,
trans ou inter disciplinaires, serait la « marque de fabrique » du
fonctionnement des institutions et services médico-sociaux. Ceux-ci mettent
même souvent en avant cette approche, dont ils auraient l’exclusivité, à
l’instar par exemple de l’école qui ne verrait dans l’enfant qu’un élève, ou de
la famille que n’y verrait que leur enfant. La richesse de cette approche est
argumentée sur l’apport des regards professionnels croisés de l’équipe.
Il n’est pas évident qu’un tel fonctionnement apporte la
plus-value décrite dans les discours des professionnels thuriféraires de cette
pratique : dans une équipe pluridisciplinaire, tout le monde a intérêt à
valoriser le fonctionnement dans lequel il se trouve, et par conséquent la
place à laquelle il se trouve. Même lorsque l’objectif est ciblé (par
exemple : faire le point sur la réalisation des objectifs du plan
personnalisé d’accompagnement), le fait que chacun expose sa partie (le travail
qu’il fait, son point de vue sur le jeune, les évolutions de celui-ci, etc.)
n’apporte souvent pas grand-chose pendant que les autres se taisent. On a
plutôt affaire à des points de vue juxtaposés, sur des contenus qui ne seront
pas facilement discutés car ils appartiennent à la compétence professionnelle
de l’intervenant (pourrait-on se permettre de discuter du
« diagnostic » avec le médecin ?). On peut certes espérer que
l’écoute passive du point de vue d’un collègue va quand même donner des suites
dans sa propre pratique. Mais lorsqu’on cumule tout le temps consacré à ces
temps formalisés dans le temps institutionnel, on peut légitimement s’interroger
sur le gain social (pour les usagers et pour les institutions) d’une telle
approche et d’une telle pratique.
Et surtout, j’ai pu le constater expérientiellement, c’est
le lieu de l’inflation des réponses spécialisées. La plus petite maladresse
physique, qui passerait inaperçue pour le commun des mortels, va être pointée,
examinée, « diagnostiquée », devenir un symptôme, donner lieu à une
nouvelle réponse médico-sociale sous forme de séances de psychomotricité. Le
plus petit écart social (de type bavardage en classe pour le plus mineur ou de
type résistance scolaire le plus problématique) va être traduit en pathologie
et trouver une réponse dans un suivi psychothérapeutique.
Là où l’accompagnement devrait favoriser la prise
d’autonomie, et donc le besoin moindre d’accompagnement, les regards croisés de
l’équipe pluridisciplinaire ont plutôt tendance à répondre de manière
inflationniste aux actes d’accompagnement, transformant celui-ci en assistance.
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