A propos de la circulaire : mise en oeuvre du parcours de formation du jeune sourd
(BO du 23 février 2017)
Quelques observations préliminaires :
-
pour la
première fois à ma connaissance, cette circulaire comporte des vidéos en LSF
dans sa version téléchargeable !
-
la circulaire
est placée sous une double référence législative, que l’ensemble des
professionnels du secteur qui accompagne les jeunes sourds devraient
connaitre : la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances,
la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ; et la loi
pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013.
-
Dès le 3ième
paragraphe, est réaffirmé ce qui constitue la caractéristique de l’éducation
des jeunes sourds : le libre choix entre une communication bilingue
(langue des signes et langue française) et une communication en langue
française. C’est une réaffirmation d’un principe fondamental, qui va à
l’encontre d’une tendance sociétale forte qui voudrait faire de la réhabilitation
et l’audition et de la langue vocale (dépistage précoce, implantation
cochléaire) la caractéristique principale de l’éducation des sourds.
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La circulaire rappelle
les conclusions de la conférence nationale du handicap du 11 décembre 2014, qui,
entre autres, annonçaient le principe de scolarisation des jeunes sourds soit
dans des ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire soit dans des PASS
(Pôle pour l’accompagnement à la scolarisation des jeunes sourds), et la
nécessité d’améliorer ce dispositif. Le recours aux unités d’enseignement du
secteur médico-social n’est pas rappelé ici, mais seulement, et de manière
assez formelle, plus loin dans la circulaire, au chapitre 3. On pourrait encore
une fois dire que l’Education nationale ignore ce qui ne se passe pas en son
sein. Et c’est peut-être vrai. Mais dans ce cas de figure, il ne faut quand
même pas se voiler la face : l’existence d’un secteur de scolarisation
pour les sourds et les aveugles au sein du secteur médico-social est un
héritage de l’histoire, et le résultat de tentatives avortées depuis plus deux
siècles de transférer l’éducation des jeunes sourds dans le ministère de
l’éducation. Et la logique internationale de cheminement vers une école
inclusive va complètement à l’encontre du maintien de cette éducation dans une
filière séparée sous l’égide du ministère des affaires sociales.
En ce qui concerne les modalités de scolarisation, la
circulaire évoque des organisations qui appellent quelques commentaires et
questionnements :
- La
scolarisation individuelle. De nombreux sourds et malentendants effectuent
aujourd’hui un parcours de ce type, pour beaucoup sans accompagnement ou avec
un accompagnement « léger » de type SSEFS (service de soutien à
l’éducation familiale et à la scolarisation). Quant à l’aide humaine, elle est
surtout nécessaire, sauf cas particuliers pour les problématiques de
communication (langue des signes, langue française codée,
« répétition » orale), qui sont justement exclues par la circulaire
dans cette modalité de scolarisation. A juste titre, la circulaire rappelle que
pour les élèves signants, il y a un risque d’isolement dans le cadre d’une
scolarisation individuelle. La conclusion qu’on peut donc en tirer, beaucoup
plus favorable à l’éducation des jeunes sourds que le forçing de l’intégration
individuel, est que l’inclusion des jeunes sourds bilingues nécessite un groupe
de pairs signants, et donc des dispositifs de scolarisation le permettant. Mais
à cela, deux nuances : pour de jeunes élèves de lycée, la diversité des
orientations possibles implique souvent d’être seul dans une classe, avec un
besoin d’accessibilité en langue des signes par un interprète, un interface ou
un besoin de codeur. Par ailleurs, certains élèves codeurs, qui ont une
excellente communication sociale avec des camarades entendants, ont toutefois
besoin d’un codeur dans le cas d’une scolarité individuelle. Comment seront
pris en compte, en particulier en termes de ressources, ces besoins
spécifiques ?
- Les ULIS sont
destinés aux élèves qui ont besoin d’un enseignement adapté, les aménagements
et adaptations pédagogiques de la classe ordinaire ne suffisant pas. Ce qui
veut dire en principe (vu d’un point de vue optimiste !) que ces élèves
sont de droit dans une des classes de l’établissement scolaire, qui met en
œuvre ces aménagements. Ce qui veut dire aussi, comme l’indique la circulaire,
que les jeunes sourds avec des troubles associés, sont bien accueillis dans les
ULIS. La question se pose donc des notifications pour ces jeunes sourds d’une
orientation vers les établissements spécialisés du secteur médico-social. Mais
là encore, se pose la question des ressources disponibles pour encadrer ces
jeunes, actuellement accompagnés par des équipes pluridisciplinaires
relativement bien dotées.
- Les
scolarisations en Unité d’Enseignement du secteur médico-social ne sont guère
définies en termes de population concernée. Sont-ce les mêmes que pour les ULIS
(à la lecture du descriptif des ULIS, on observe que les populations décrites
sont pour une part en unité d’enseignement) ? Sont-ce celles qui vont
appartenir aux futurs PEJS (Pôle d’Enseignement pour les Jeunes Sourds) ?
On peut faire l’hypothèse, comme je l’indiquais plus haut, que la circulaire
rappelle un existant (la scolarisation actuelle de certains jeunes sourds dans
les unités d’enseignement du secteur médico-social) un peu par défaut, faute de
pouvoir (ou de vouloir) mettre en place et en œuvre un ensemble de dispositif
cohérent, y compris en termes de moyens et de ressources humaines.
- La nouveauté
importante (mais partielle) concerne les Pôle d’Enseignement pour les Jeunes
Sourds, les PEJS. On peut noter des éléments tout à fait intéressants qui
étaient beaucoup moins définis par le passé : une articulation des
parcours scolaires de la maternelle au lycée, la possibilité d’avoir recours
aux internats des lycées, la priorité à la scolarisation en classe ordinaire,
le choix du parcours en fonction du choix de communication, l’abandon d’une
méthode phonologique d’apprentissage de la lecture pour les jeunes sourds en
parcours bilingue (actuellement, même dans certains dispositifs qui se
prétendent bilingues, le recours à la phonologie est massif). Mais là aussi se
pose un certain nombre de question. A partir du collège, et même avant à
l’école élémentaire, et au cours du lycée, des jeunes sourds peuvent se
satisfaire, et tirent bénéfice, d’une accessibilité complète (soir par un
interprétariat en langue des signes, soit par du codage en langue française
codée). Rien n’est dit sur les moyens à mettre en œuvre : « Lorsque le niveau des élèves le nécessite,
ils doivent pouvoir bénéficier … ». Actuellement, dans un certain
nombre de cas favorables, cette accessibilité est prise en charge par les
établissements et services du secteur médico-social, donc sur les financements
« santé ». Dans les PEJS, y aura-t-il transfert de moyens pour doter
tous les jeunes qui en ont besoin de l’accessibilité nécessaire ?
En ce qui concerne
possibilités de parcours au sein des
PEJS, la circulaire préconise deux modalités pour parcours bilingue :
-
Soit une
« classe d’élèves sourds recevant
des enseignements dans toutes les matières en LSF. Cette classe est entièrement
intégrée à l’école ».
-
Soit une
« classe mixte mêlant élèves sourds
et entendants avec un enseignant entendant et un co-enseignant ayant atteint le
niveau B2… Le co-enseignant a la charge de l’enseignement de la LSF ou en LSF,
il transmet les contenus et objectifs prévus par l’enseignant ».
Cette deuxième
possibilité ne manque pas de poser quelques questions. Que le co-enseignant
enseigne la LSF se conçoit aisément. Mais avoir la charge de l’enseignement en
LSF pendant la classe se conçoit plus difficilement. S’agit-il d’un
enseignement parallèle, avec les mêmes contenus, mais selon des méthodologies
différentes ? Par exemple les mathématiques s’enseignent-elle de manière
didactique différente, pour qu’il faille un co-enseignant et pas simplement un
interprète ou un interface de communication ? Y a-t-il une pédagogie
« spécialisée » des différentes disciplines scolaires (en dehors de
l’apprentissage formel du français, lecture et écriture) ? Pourquoi ne pas
envisager la transmission d’un enseignement en LSF par un interprète si l’on
fait l’hypothèse que les élèves sourds ont des processus cognitifs sensiblement
identiques à ces des entendants, hormis la modalité langagière ? Un
interprète ne peut-il pas transmettre (et bien entendu ne pas enseigner) les
démarches et outils pédagogiques mis en œuvre par l’enseignant dans le cadre de
sa classe ? Si le co-enseignant ne fait que transmettre les contenus et
objectifs prévus par l’enseignant, est-il encore vraiment enseignant ? N’y
a-t-il pas un risque que l’enseignant de la classe soit ainsi démis de sa
responsabilité pédagogique d’enseignant de tous les élèves de la classe au
profit d’un autre enseignant (le co-) qui rétablit au sein de la classe une
partition de responsabilité, une frontière entre des groupes d’élèves ?
L’hypothèse du
co-enseignement pourrait mieux se concevoir avec un enseignant sourd lui-même,
mais davantage dans une perspective psycho-sociale d’éducation des jeunes
sourds. Il n’en reste pas moins que même dans cette hypothèse, le rôle du
co-enseignement reste réduit à la transmission en langue des signes des
contenus et objectifs de l’enseignant. Ce qui n’est pas très valorisant pour un
enseignant ! Cette configuration de co-enseignement mériterait des
clarifications importantes, tant sur les modalités d’organisation de
l’enseignement que sur les principes éthiques qui les pilotent.
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Toujours en ce qui
concerne les différents types de
parcours, le texte de la circulaire maintient une certaine ambiguïté. La
question de la qualification en tant qu’accessibilité ou en tant que
compensation (ces mots ne sont pas nommés dans la circulaire, mais le texte en
parle !) est importante quand il s’agit de décrire les activités qui
permettent de réduire l’écart entre les caractéristiques de l’environnement et
les caractéristiques individuelles. Par exemple, le plan incliné ou l’ascenseur
sont du registre de l’accessibilité, le fauteuil électrique du registre de la
compensation, les deux contribuent à la participation sociale des personnes
ayant des difficultés de locomotion, à leur droit de participer, de manière
pleine et entière, aux différents cadre de vie.
En effet, lorsqu’on envisage
cette activité ou cette intervention en tant que compensation, comme c’est
manifestement le cas du LPC ici, on attribue en quelque sorte l’écart, la
différence, aux caractéristiques de l’individu : c’est à lui de se munir
de la technologie (humaine ou technique) nécessaire pour avoir accès au monde
commun. Celui-ci est par conséquent le monde des autres qu’il faut rejoindre,
le monde des « normaux » ; et la personne handicapée doit
ajouter quelque chose pour y participer. L’environnement n’a pas lieu de se
modifier pour s’adapter aux caractéristiques des personnes, puisque ce sont
celles-ci qui apportent la compensation.
En revanche, lorsqu’on
envisage cette activité ou cette intervention en tant qu’accessibilité, c’est
l’environnement qui doit se préoccuper de mettre en place une technologie
(humaine ou technique) pour se rendre accessible aux personnes en situation de
handicap, sans leur demander de se conformer aux contraintes de cet
environnement : on ne demande pas à un personne en fauteuil de monter les
escaliers, on ne demande pas à une personne utilisant la langue des signes de comprendre
un discours oral. Ainsi la responsabilité de l’écart ou de la différence par
rapport aux personnes sans handicap n’est plus imputable aux personnes avec
handicap. Et même plus, la frontière entre personnes avec handicap et personnes
sans handicap est abolie du point de vue des singularités (cela ne veut pas
dire que la déficience ou le trouble n’existent pas !). Une institution
inclusive devrait se préoccuper en premier lieu de son accessibilité.
A ce titre,
l’interprétariat en langue des signes ou le codage en langue française
complétée ne devraient pas être pris en compte et financés par des services ou
des modalités relevant de la compensation, mais selon des modalités
d’accessibilité imputables aux institutions accueillantes.
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Un dernier point concerne
la formation des enseignants. Parallèlement
à cette circulaire, paraissent différents textes réglementaires créant et
organisant un nouvelle formation et qualification des enseignants intervenant
auprès des publics en situation de handicap : le CAPPEI, Certificat
d’Aptitude Professionnelle aux Pratiques de l’Education Inclusive (JO du 12
février 2017, textes 7, 8 et 9, BO du 16 février 2017). Après le CAEI dans les
années 1980, le CAPSAIS dans les années 1990, le CAPA-SH au milieu des années
2000, voici donc le CAPPEI.
A noter, pour première
fois de manière aussi claire, une exigence d’entrée en formation pour les
enseignants qui auront à travailler avec les enfants sourds : une
compétence en langue des signes de niveau A1 (en référence au cadre européen
commun de référence pour les langues)
Bonjour M. LE CAPITAINE,
RépondreSupprimerNous sommes une équipe de 4 enseignants spécialisés itinérants auprès des élèves sourds et malentendants. Notre académie (aux Antilles) prévoit de mettre en place un PEJS dès la prochaine rentrée scolaire.
Vos observations et questionnements ont donc un écho tout particulier pour nous qui sommes en pleine réflexion.
Accepteriez-vous de nous accorder un entretien en visio-conférence ?