Normes, handicap et validisme
Dans une société
conçue par et pour les personnes considérées comme valides, on demande
généralement aux personnes handicapées d’organiser leur vie et leur
comportement autour de ce dont ils sont « dépossédés », autour de ce
qui est considéré comme la norme humaine en vigueur, autour de ce qui les fait
considérer comme non valides.
Cela est particulièrement visible dans les situations vécues par les personnes sourdes (les Sourds). Malgré une reconnaissance, récente, de la langue des signes, tout est fait, dans les dispositifs et les discours sociétaux, pour que les enfants qui naissent sourds soient « normés » en enfants entendants ou pseudo-entendants. Le texte sociétal, appuyé par des textes réglementaires (législatifs, recommandations…) affirme le caractère pathologique de la condition sourde et organise dès la naissance des parcours réparateurs pour « restituer cet enfant au monde » : dépistage systématique à J+2 et diagnostic précoce, systématisation de l’implantation cochléaire précoce, incitation à l’utilisation de la langue orale (avec aujourd’hui quelques compromis en faveur de la langue des signes), dispositifs de scolarisation non bilingues (de nombreux dispositifs s’affichant bilingues ne le sont que très imparfaitement ou par défaut), des inclusions, ou plutôt des intégrations conçues sur un mode individuel et normatif, etc. Tout est fait pour que l’enfant sourd se développe comme enfant entendant, gage d’une normalité admise et souhaitée. Tous les obstacles sont mis pour qu’il ne puisse construire une identité sourde.
Si le cas des
personnes sourdes a mis en évidence les contradictions fondamentales entre le
principe d’égalité des droits (et de citoyenneté) par reconnaissance d’une
identité et une approche médicale individuelle réparatrice et normative, elles
ne sont plus les seules parmi les personnes dites handicapées à se prévaloir
d’une « condition handicapée » qu’il y a lieu de prendre en compte
dans le registre de la diversité humaine, et non comme pathologie à faire
disparaitre. Un certain nombre de personnes autistes le revendiquent fortement,
leur fonctionnement cognitif, relationnel… étant une marque de la diversité
humaine, qu’il ne s’agit pas de supprimer, mais de respecter, avec lequel il
faut faire. S’il n’y a pas dans ces situations « dépossession »
(comme l’audition chez les personnes sourdes), il leur est demandé de se
conformer à des normes sociales ou cognitives auxquelles ces personnes ne
peuvent pas souscrire. Elles souscrivent pourtant à des normes, qui peuvent
être autres, et qui constituent leur être propre, leur « culture ». Au-delà
des personnes sourdes ou autistes, pour les personnes dites handicapées, il y
aurait lieu de considérer leur manière d’être et leurs comportements comme des
variétés du fonctionnement humain, qui ont toute leur place dans la société.
Peut-être est-ce
pour cette raison, celle de l’injonction à vivre dans les normes valides, que
les personnes sourdes comme certaines personnes autistes ne se reconnaissent
pas comme « handicapés », quand cette notion désigne des catégories
de personnes à qui il manquerait quelque chose ou qui ne fonctionneraient pas
selon des normes définies. Bien évidemment, elles reconnaissent que leur vie
n’est pas facilitée dans un environnement validiste (entendant, neurotypique,…),
qui fonctionne massivement comme si ces personnes devaient fonctionner en niant
leurs caractéristiques et en adhérant aux normes en vigueur, et qui met des
obstacles en définitive sur leur participation sociale.
Pour les tenants
de la normalité physique, fonctionnelle ou psychique, mener une vie normale,
c’est supprimer ou surmonter ce qui n’est pas la norme, la déficience, la
particularité… C’est un point de vue validiste (ou capacitiste) que de
considérer que la norme, le normal soit le fonctionnement humain le plus enviable
et le plus légitime, source d’une domination des catégories majoritaires sur
des fonctionnements minoritaires.
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