De quoi les classes de niveau sont-elles le nom ?
Et voilà que l’on reparle des classes de niveau, au collège et même à l’école élémentaire ! 50 ans après la réforme du collège unique (réforme Haby en 1975), qui avait en principe unifié le système et banni les classes de niveau, mais laissé, par le jeu des options et des cartes scolaires, se pérenniser les niveaux dans les classes, sans compter la relégation dans les SEGPA ; dans une Europe dont la grande majorité des pays a fait le choix de l’hétérogénéité des classes, avec des réussites appréciables. Outre le côté régressif (réactionnaire) d’une telle perspective, dans laquelle se précipitent nombre de politiques, de gloires médiatiques, et certaines organisations enseignantes, il est opportun de s’interroger sur ce que cela signifie relativement à « l’inclusion » des élèves en situation de handicap dans une telle reconfiguration du système éducatif.
De nombreuses
recherches et expériences ont mis en évidence les effets des classes de
niveaux, telles qu’elles ont existé, telles qu’elles existent encore par
détournement de la réglementation ou par opportunité : une stigmatisation
des élèves des niveaux les plus faibles (au sein d’un même établissement ou par
comparaison avec d’autres établissements), une accentuation des inégalités
d’apprentissage et de réussites dans les compétences, de moindres attentes de
la part des enseignants pour les plus « faibles », une moins grande
motivation à apprendre pour ceux-ci, etc. Les classes de niveau sont
l’institution du tri des élèves, de leur discrimination, la mise en place d’une
ségrégation et la fin de l’égalité des chances. Le vivre en commun, le
« vivre ensemble », la cohésion de la république disparaissent au
profit de la ghettoïsation de catégories : les « bons » avec les
« bons », de préférence avec de « bons » enseignants, les
« nuls » avec les « nuls ». Les classes de niveau sont l’outil
de la ségrégation de classe, où l’égalité est au mieux pensée à travers
l’obligation d’un uniforme vestimentaire !
L’argumentation
hypocrite d’adaptation aux besoins des uns et des autres n’est là que pour
justifier un concept élitiste du système scolaire, loin du tronc commun
réunissant tous les élèves sur des compétences communes et faisant société (ou
nation). Les plus « faibles », ceux qui mettent du temps à apprendre,
qui n’ont pas les codes exigés, qui ne sont pas dans les normes, sont condamnés
à ne satisfaire que les besoins réduits auxquels ils peuvent trouver réponse et
à ce qu’ils sont capables d’apprendre, tandis qu’il faut « nourrir »
les plus « forts » d’apprentissages de haut niveau, qui les mèneront
vers de longues études et des fonctions supérieures. Et la réussite dans les
apprentissages scolaires est fortement corrélée aux conditions de classe :
faut-il ici citer l’ouvrage de P Bourdieu, La reproduction, ou encore
l’ouvre dirigé par B Lahire, Enfances de classe ? Le tri de niveaux
entre élèves, et leur regroupement selon ce critère, se font inévitablement
selon des critères de classe, alimentant ainsi la reproduction de classe, loin
de l’égalité des chances et des droits.
Et les enfants en
situation de handicap là-dedans ? Eu égard à leur besoins, à leurs
performances, aux modalités de leurs acquisitions, ils seront vraisemblablement
affectés aux classes dont le niveau serait faible, les exigences à réduire, les
programmes allégés et l’avenir limité. Quand ne seraient pas justifiée et
légitimée leur exclusion de l’école vers des structures spécialisées, qui
répondraient soi-disant encore mieux à leurs besoins de «faible niveau »
(« ils sont quand même mieux entre eux » !). Les classes de
niveau auraient à tout coup pour effet de remettre en question le lent
cheminement de l’école vers un fonctionnement inclusif. On ne peut être
inclusif sur la base du tri des élèves, de leur ségrégation dans des classe
selon leur niveau, et en définitive sur leur discrimination.
Gageons que, en
dépit de ces orientations de ségrégation, de discrimination ou d’exclusion, le
discours gouvernemental sur l’inclusion ou l’école inclusive n’en sera que plus
fort et plus insistant, témoignage d’une incommensurable duperie.
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