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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 6 juillet 2022

Lecture : Handicap à vendre

 Handicap à vendre 

de Thibault PETIT, Les Arènes, 2022

Il faudrait (il faut !) diffuser et lire ce livre ! Non seulement dans les ESAT (Etablissements et services d’aide par le travail), dont les travailleurs font l’objet de ce travail de reportage d’un journaliste, Thibault Petit, qui en a fait, et cela le méritait, un livre. Mais aussi plus généralement dans tout le secteur médico-social, dont les acteurs (gestionnaires, directions, professionnels) considèrent comme légitime le sort qui est fait à ces travailleurs handicapés dans de telles structures, et les « valeurs » qui guident leur fonctionnement aujourd’hui, prélude peut-être à leur généralisation dans l’ensemble du secteur. Et plus généralement encore, à destination de l’ensemble de la population pour que celle-ci se rende compte comment une catégorie de Français (120 000 quand même) se trouve honteusement discriminée et exploitée. L’argument selon lequel s’il n’y avait pas les ESAT, tous ces travailleurs seraient encore plus « éloignés de l’emploi » ou « assistés » ne dispense pas de dénoncer, comme le fait T. Petit les conditions de fonctionnement de ces institutions.

Bien sûr, la publication de l’ouvrage a fait réagir les responsables d’établissements et les gestionnaires : le journaliste n’aurait enquêté qu’auprès de quelques ESAT (et par hasard, il serait tombé sur les pires ?), il ne connait ni le milieu, ni l’ensemble de la situation (ce peut être parfois l’avantage d’un regard neuf), son enquête serait biaisée. Effectivement, la charge est lourde, et on ne ressort pas indemne de la lecture. La situation décrite des travailleurs handicapés travaillant en ESAT est pour le moins peu enviable : conditions de travail, salaire, climat de travail, reconnaissance, droits… Il y a sûrement des ESAT qui sont mieux que ceux décrits ici, en témoigneraient en tout cas les belles communications institutionnelles sur papier glacé où l’on voit des travailleurs handicapés heureux d’y travailler, propres et souriants, reconnaissants, valorisés par des discours positifs sur les valeurs et les qualités de ces travailleurs.

Au-delà d’éventuelles différences de fonctionnement, il est des réalités partagées. Les travailleurs d’ESAT ne sont pas des travailleurs, mais des usagers du secteur médico-social. Ils ne sont pas embauchés, ils sont « admis ». Ils ne dépendent pas du Code du Travail (à rebours des standards internationaux depuis quelques dizaines d’années), mais du Code de l’Action Sociale et des Familles. Conséquences : pas de véritable salaire, pas de droits de se syndiquer ni de faire grève, pas de CSE mais un CVS (ce ne sont pas les mêmes prérogatives !), etc. Ils ont quand même eu droit à des congés payés à partir de 2005 ! On aurait pu penser que, dans une mouvance internationale qui promeut les droits des handicapés à égalité avec les droits de tous, une Secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées aurait fait bouger les choses dans ce sens. Mais c’était oublier que dans les choix idéologiques des présents gouvernements, ce n’est pas le développement des droits qui constitue le progrès, mais la diminution des droits des travailleurs. Moins de droits égale davantage de droits ! Et ce ne sont pas quelques droits symboliques (certes à ne pas négliger, comme davantage de droits à l’expression) qui restituent à ces travailleurs leurs droits fondamentaux et un vrai statut de citoyen.

Ce ne sont pas des travailleurs, mais des usagers, payés des miettes, pour un travail souvent équivalent à celui d’autres travailleurs, environ 700 € nets mensuels. Moins payés parce que moins « rentables » justement en raison de leur handicap ? Mais paradoxalement, le type de financement des ESAT est lié au rendement et à la productivité, d’où une incitation permanente sur les chantiers et les ateliers à travailler plus et mieux. Ce que les travailleurs handicapés subissement dans leur quotidien de travail sous forme de pressions énormes, de brimades, de stress, d’insultes, de harcèlement. Attitudes inévitables, mais inexcusables, quand le système dans son ensemble, son fonctionnement et son idéologie, souscrit à cet impératif économique de rentabilité, valable dans l’économie de marché comme dans les ESAT. Mais comme il s’agit de rapprocher les ESAT de l’économie de marché …  Avec un effet pervers qu’on retrouve quasiment partout : être rentables signifie gérer les ressources humaines selon des critères de rentabilité (et non des critères de handicap ou psycho-sociaux), et donc n’embaucher (pardon, n’admettre selon le langage médico-social) que des travailleurs handicapés plus performants, et se débarrasser des plus handicapés. Et le note T Petit, selon les témoignages recueillis, la population des ESAT s’est modifié depuis deux décennies : là où ils accueillaient souvent des personnes avec difficultés mentales ou intellectuelles importantes, aujourd’hui ils accueillent des personnes handicapés avec des profils plus « performants », certains venant d’ailleurs d’un milieu ordinaire de travail qui les a « handicapés ». On peut se demander ce que font et où sont aujourd’hui les premiers. Logiquement, les directeurs d’ESAT sont aujourd’hui recrutés sur la base de compétences ou de profils de commerciaux, managers, gestionnaires et non plus sur un profil « social », autre manière de normaliser les ESAT dans le champ de la production économique et de les rapprocher du « monde réel » (sic).


Ces directeurs d’ESAT, qui sont amenés à, ou sont obligés de se comporter comme des chefs d’entreprise de l’économie de marché (l’œil doit rester rivé aux courbes du chiffre d’affaires) ne dérogent d’ailleurs pas en définitive aux évolutions observées dans l’ensemble des établissements et services médico-sociaux. Les directeurs ont dorénavant la mission principale d’être des chefs d’entreprise, dont les préoccupations stratégiques seront d’optimiser les ressources, de faire des économies, de réduire les services au strict minimum, de bien manager pour être plus productifs… Et cette situation est présentée idéologiquement comme la seule possible, envisageable, pensable. L’établissement se gère comme une entreprise, il semblerait qu’il n’y ait d’autre vérité possible. Pensée hégémonique qui ne laisse aucune alternative !

Avec les effets pervers que l’on trouve dans le quotidien de nombre d’entreprises, derrière le discours lénifiant d’un climat de travail bienveillant et favorable au développement de tous. Témoin cette annonce publicitaire pour les ESAT sur les réseaux sociaux,  à destination d’entreprises potentiellement clientes : « - Resteriez-vous sept heures par jour à trier des vis : eux oui. Avez-vous une « capacité de zoom » (lié au handicap psychique qui ne vous fera passer aucun défaut : eux oui. Ne déviez-vous jamais du travail fixé par votre chef : eux non. En France, sont-ils encore nombreux ceux qui croient en la valeur travail : eux oui. » (p.57). Edifiant ! Si ce n’est pas de l’exploitation ! Si ce n’est pas l’image d’un bétail humain !

Et que dire de l’hypocrite discours de directeurs managers, affichant des valeurs éthiques honorables, prônant la bienveillance et le respect des personnes, les mêmes qui ne s’offusquent pas d’une telle annonce sur les réseaux sociaux, et mettent leurs qualifications au service d’une organisation du travail visant l’exploitation et la rentabilité, avec les conséquences inévitables de souffrances au travail, de vies méprisées et de déni de droits. L’ESAT aujourd’hui, c’est « travailler comme dans le milieu ordinaire », mêmes exigences de productivité, même pression et stress, … salaire en moins et humiliations en plus.

On peut bien évidemment incriminer les acteurs de terrain, les encadrants non respectueux, harceleurs, maltraitants, « petits chefs » poussant à la production, des directeurs adhérents sans états d’âme à l’idéologie managériale la plus cynique, aussi bienveillante puisse-t-elle se prétendre, de primauté absolue de la production rentable sur le social, des gestionnaires profitant de la situation et du développement dans une économie de marché. Mais ce qu’il faut incriminer ici, et qui fait comprendre justement l’ensemble de ces attitudes, c’est le système dans sa globalité qui non seulement permet, mais promeut, cette approche et ces pratiques d’exploitation des travailleurs handicapés, avec toutes leurs conséquences délétères.

« Notre but c’est de monter que les handicapés sont des gens qui produisent » dit un directeur d’entreprise adaptée et d’ESAT. Oui peut-être. Mais les réduire à cela, au détriment de leurs droits, de leur qualité de vie, constitue un déni d’humanité.

Extraits de la présentation de l’éditeur

«  Connait-on les travailleurs handicapés ? Les écoute-t-on ? Leur donne-t-on la parole ? Le handicap c’est comme le chou de Bruxelles, on n’aime pas trop, mais on en prend de temps en temps pour se donner bonne conscience. A la télévision, on en parle trois fois par an, à l’occasion de la semaine européenne, de la journée mondiale ou de la revalorisation de l’Allocation adulte handicapé : + 0,3 % en 2020 ! Mais l’homme, la femme, qui trime pour la moitié du SMIC, on ne le voit pas, jamais, pas télégénique, ça s’exprime mal ou trop lentement. On trouve quelqu’un pour parler à sa place, un spécialiste, un responsable, un porte-parole, un tuteur, un gestionnaire qui chante l’inclusion en costard-cravate en disant qu’un handicapé, ce n’est pas tout à fait ce qu’on croit, c’est capable de bosser aussi durement que vous et moi » Cynique !

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