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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 18 août 2021

Lecture : Comprendre la condition handicapée


 Comprendre la condition handicapée 

de Henri-Jacques STIKER, érès, 2021

 

Depuis une quarantaine d’années, et la publication de « Corps infirmes et sociétés » (1982) Henri-Jacques Stiker ne cesse de produire, à travers ses nombreuses publications, des analyses des situations de vie des personnes handicapées, au croisement des évolutions conceptuelles et sociales, et des expériences vécues par les personnes concernées. Aujourd’hui, avec ce récent ouvrage, il mobilise de nouveau (l’ouvrage fait suite à son précédent ouvrage intitulé La condition handicapée) la notion de « condition handicapée » (comme d’autres ont exprimé la condition féminine ou la condition ouvrière) pour élaborer des réponses aux nombreuses questions qui se posent (et qu’il se pose dans l’ouvrage) sur la place des personnes dites handicapées dans notre société.

Il distingue, dans les relations d’expériences qu’il connait (récits, biographies, témoignages...) la dualité permanente de cette condition, entre la vie d’avant ou la vie qui aurait été possible, et celle du présent, dans laquelle se sont engagées les personnes qui ont témoigné (« vie brisée, vie nouvelle », toujours marquée par un « passage » (un « accident ou un évènement »). Autrement dit, l’altérité demeure tant dans l’évènement (déficience, trouble, incapacités) que dans la manière dont la nouvelle vie s’aménage ou est aménagée.

Mais cette altérité n’en constitue pas pour autant une identité formée de tout temps, qui naturaliserait les caractéristiques particulières, différentes, en une identité complète (« c’est un handicapé »), comme cela était le cas historiquement. L’approche sociale du handicap, comme la notion de situation de handicap, dénaturalisent le handicap en le définissant comme le résultat d’une interaction entre des caractéristiques personnelles (dont la déficience et/ou les incapacités) et des caractéristiques environnementales. Il n’en reste pas moins que le terme et la notion de handicap catégorisent les personnes concernées en dehors des frontières des normes. « Si aujourd’hui malgré des efforts de vocabulaire, les images sous-jacentes véhiculées par les termes d’infirme, d’impotent, d’estropié, de difforme, d’invalide, de diminué, d’idiot, d’imbécile, de débile, et j’en passe, ne sont pas éliminés et réapparaissent sans cesse sous le mot handicap, dans l’esprit commun tout au moins, sommes-nous condamnés à rester prisonniers d’ancestrales et séculaires représentations défectives ? » (p.68)

De nombreuses personnes handicapées et leurs associations rejettent le terme et l’identité de handicapé, celle-ci étant stigmatisante et discriminante. « Le handicap est entendu alors comme synonyme de manque, de défaut. Même indépendamment de cette vision misérabiliste, le mot renvoie à la législation, notamment depuis 1975, imposant une étiquette qui confond la personne et sa déficience comme si elle n’était pas une personne citoyenne égale aux autres. » (p.57) Mais alors comment concilier la singularité et la particularité de ces personnes dans une politique d’égalité des conditions de vie ? « Comment sortir de ces contradictions entre le désir de ces individus d’être comme tous les autres citoyens sans y être assimilés, et celui d’être reconnus tels qu’ils sont sans être catégorisés ? » (p.69)

A côté des approches savantes, comme les nomme H-J Sticker (« le pôle sociologique, le pôle anthropologique, le pôle politique et le pôle culturel », p.75), la notion de condition handicapée contribue à les enrichir par des éléments, incontournables, proprement expérientiels. Et conclut l’auteur : « La condition handicapée est caractérisée par diverses dimensions : la stupéfaction quand advient une incapacité, qui se double tout aussitôt de la construction d’une vie nouvelle. Vie qui n’est pas isolée de celle d’avant, de celle désirée, de celle rêvée. Sur la vie nouvelle s’inscrivent plusieurs vies. L’évènement handicapant introduit de la continuité dans la discontinuité. Ces vies ont leurs exigences de partage, de refus, de demandes. Il faut sortir de toute assignation à une pseudo-identité et jouer avec plusieurs. Il faut se relier, sans faire communauté ni constituer une conscience de classe ; mais en retour, il s’agit d’affirmer ses capabilités, sa liberté, son ipséité, sa puissance, notamment par la capacité à se raconter mais aussi à agir. Ainsi doté de cette dimension, la condition handicapée est prête à combattre, pour son amélioration, sa libération, mais dans le combat pour une société inclusive qui concerne tout le monde et en alliance avec d’autres forces vives. » (p.120). A l’heure où les politiques publiques s’efforcent de promouvoir la place des personnes en situation de handicap dans la société, la contribution de cet ouvrage s’avère décision comme balise de pensée et d’action.

Extraits de la présentation

« La notion de condition a été utilisée par des auteurs célèbres : André Malraux, Hannah Arendt, Simone de Beauvoir, Simone Weil, Pap Ndiaye, pour désigner la condition ouvrière, la condition féminine, la condition noire… Appliquée aux personnes en situation de handicap, elle permet de comprendre ce qui détermine leur vie, leur manière personnelle d’être au monde, mais aussi ce qu’elles partagent avec d’autres, en se dégageant de toute perspective identitaire et essentialiste.

En effet, la condition d’un groupe est à la fois ce qui le conditionne et ce qui le caractérise parmi d’autres, mais elle est avant tout historique, c’est-à-dire changeante selon les contextes culturels, sociaux et politiques. En s’appuyant sur les nombreux récits, autobiographiques ou non, des personnes handicapées elles-mêmes, l’auteur dessine, sans préjugés ni idéologie, les traits de cette condition. Il se laisse enseigner par ceux qui la vivent et dénoncent les pièges que la société leur tend, bon an mal an, dont la notion même de handicap.

Dans cette dynamique, Henri-Jacques Stiker ouvre à nouveau le débat sur la nécessité de changer cette condition. Deux voies sont ici proposées : une philosophie de l’absolue singularité de tout humain et une action pour mettre les personnes concernées en position d’acteurs sociaux et politiques et non plus de simples bénéficiaires »

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