Connaissez-vous l'agnotologie ?
Il s’agit d’une « science » récente, qui désigne
aujourd’hui la science de l’ignorance et l’étude des mécanismes de sa
construction. Elle a été mise en œuvre pour décrire les tentatives de certains
industriels (tabac, chimie, agro-alimentaire, climat) pour nier ou minimiser
les risques liés à leurs industries. Mais l’objet de cette science mériterait
d’être élargi à d’autres phénomènes que les phénomènes industriels : la
politique, le travail, la vie en entreprise, etc. sont également impactés par
des mécanismes construits d’ignorance, involontaires ou délibérés, dont il
pourrait être intéressant de lever le voile.
Mais de cet état de fait, toute la responsabilité n’est pas
à mettre sur le dos des directions. Ce sont autant les dirigeants que les
professionnels qui ont parfois un intérêt convergent à organiser l’ignorance
institutionnelle, parfois par crainte des conflits. Car souvent, une telle
réflexion de fond, qui demande de réinterroger ce que chacun fait, ce que fait
l’institution, de prendre en compte les évolutions sociétales et la commande
sociale, comporte des risques. Elle engage à des changements stratégiques dans
l’organisation, dans les interventions, dans les représentations, dans les
collaborations avec d’autres professionnels, dans les rapports avec les
usagers. L’organisation de l’ignorance peut constituer d’un certain point de
vue la préservation d’une prise de risque et du conflit, à laquelle ont intérêt
simultanément des représentants des salariés et des dirigeants à la vue courte.
Et c’est bien justement la préservation du conflit qui
constitue la matrice du mécanisme de confortation de l’ignorance. Les
phénomènes gênants (réflexions, approches, ouvrages ou articles, pratiques,
etc.) sont ignorés institutionnellement, quand ils ne sont pas délibérément
censurés. Mais à ne pas assurer et assumer (et délibérer sur) la chance (et non
les risques) du conflit intellectuel et stratégique, dans lequel tous sont
présents de toute façon, on court un autre risque, celui d’imposition verticale
du sens du travail, donné sans réflexion ni conflit cognitif par une politique
publique affirmée et éloignée ou par un dirigeant qui pense seul l’application
de cette politique, et par conséquent le risque d’un conflit d’une autre
nature, qui lui peut avoir des effets délétères.
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