Situations de handicap : revenons-y !
Ça y est ! La
formule « situation de handicap » est devenue monnaie courante pour
désigner et qualifier les personnes ayant des déficiences, des maladies, des
incapacités, des troubles… On pourrait en déduire que le modèle explicatif du
handicap a évolué, qu’il y a eu un changement de paradigme, passant d’une
approche individuelle, biomédicale, centrée sur la personne, à une approche écosystémique
d’un rapport entre les caractéristiques personnelles et les caractéristiques de
l’environnement. Penser « situations de handicap » ce serait postuler
que « le handicap » n’est pas attribuable à la personne en raisons de
ses caractéristiques personnelles, mais vient de, et est produit par
l’inadéquation entre les conditions environnementales et la personne.
Mais
malheureusement, comme écrit plus haut, la formule désigne et qualifie le plus
souvent la personne, et pas la situation. Certes, elle remplace avantageusement
la formulation antérieure de personne déficiente, ou de personne avec des
incapacités, ou de personne handicapée. Mais ce faisant, le paradigme ne change
pas : l’explication du handicap se trouve dans la personne, dans la
« nature » de la personne, et ne qualifie nullement le résultat
insatisfaisant de l’interaction entre la personne et son environnement. Cette
représentation trouve une illustration exemplaire dans les formulations
fréquentes de « situation de handicap intellectuel »,
« situation de handicap sensoriel », etc. Le glissement sémantique
n’a pas opéré, de toute évidence, de glissement de représentation ou de
conception. Bien au contraire, on peut ainsi se satisfaire de ce glissement
sémantique, pour donner l’illusion d’un changement conceptuel.
Donc
« situations de handicap », revenons-y ! Une situation n’est pas
une personne, comme le laissent entendre les qualifications (in)capacitaires accolées
à la formulation. Une situation de vie se compose d’activités diverses,
personnelles et sociales, qui inscrivent la personne dans son environnement
proche ou moins proche. Elle est « produite » dans l’interaction
entre une personne et l’environnement dans lequel elle vit. Elle peut se
caractériser par sa réalisation satisfaisante pour la personne (situation de
participation sociale) ou par sa moins bonne réalisation (situation de non
participation sociale ou situation de handicap). Autrement dit, chacun a une
multitude d’habitudes de vie, dont certaines sont réalisées de manière
satisfaisante, et d’autres moins bien réalisées. Prenons l’exemple d’une
habitude de vie comme : exercer une activité professionnelle, ou avoir un
emploi. Lorsque cette habitude de vie est réalisée, la personne est en
situation de participation sociale. Mais elle peut ne pas pouvoir être
réalisée, pour différentes raisons : j’ai 72 ans, et cela ne s’applique
pas à moi ; j’habite dans une région sinistrée économiquement et il n’y a
pas d’emplois ; à 62 ans, les entreprises ne veulent pas
m’embaucher ; j’ai des incapacités et les entreprises préfèrent embaucher
des travailleurs plus performants…etc. Dans ce dernier cas, je suis en
situation de handicap en ce qui concerne le travail. Je suis en situation de
handicap en raison du manque de travail.
La formule « situation de handicap » reste désespérément attachée aux caractéristiques déficitaires de la personne. La formulation est plus longue, mais serait plus juste : une situation de handicap pourrait être : une production en lien avec une altération des fonctions (sensorielles, motrices, intellectuelles, mentales…) dans un environnement non adapté à la personne concernée et à ses caractéristiques. Le jour où l’on verra des formulations comme situation de handicap dans le travail, situation de handicap à l’école, situation de handicap pour sa vie domestique, etc, de préférence à situation de handicap intellectuel ou autre, il est vraisemblable que l’on pourra en déduire que l’on aura fait un grand pas dans le changement de modèle conceptuel concernant les personnes handicapées, et leur place dans la société.

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