Des complications de l'activité
Les différentes procédures qui ont cours dans le secteur médico-social (et ailleurs), et qui se sont copieusement répandues, s’avèrent de plus en plus « lourdes », compliquées plutôt que complexes, rébarbatives et pénibles : les évaluations des services, les procédures de qualité, les dossiers des usagers, les projets de toute nature, les réponses aux appels d’offre, le reporting d’activités, la formation, les algorithmes des besoins et des prestations, … et tant d’autres activités. Alors que le discours public martèle sa volonté de « simplification », on peut se demander pour quelles véritables raisons toute l’activité sociale et professionnelle présente une telle complexité, ou plutôt de telles complications. On pourrait lire ces multiples processus et procédures, de plus en plus prégnants dans un environnement discursif d’autonomie et de responsabilité, comme des symptômes d’évolutions qu’il faudrait se garder d’ignorer.
C’est une forme de
bureaucratisation, qui remplace la bureaucratie administrative d’antan. L’un de
ses objectifs est bien de contrôler l’activité sur le plan politico-administratif.
C’est le lieu d’exercice des experts d’un certain langage. Prenons le cas des
appels d’offre. Ils obéissent à des catégories de langage expertes, à des
procédures averties, à des schémas savants, à des règles contraignantes, à des
références partagées (dans des cercles restreints). L’exigence quant aux
réponses aux appels d’offre est à la hauteur et à la mesure de ce que les
auteurs des appels d’offre seraient eux-mêmes en capacité de répondre, avec le
degré de formalisation et de procédures souhaité. Les réponses à l’appel
d’offre se doivent de ressembler à la formulation de l’appel d’offres, dans le
registre implicite de la rédaction de celui-ci. Car la rédaction n’est pas
faite de manière neutre, elle obéit à des paradigmes non explicités. Elle est
pensée et formulée selon des critères, des habitudes de pensée, une idéologie
quelque peu hégémonique de rédacteurs issus de formations et de parcours
éloignés tant des personnes concernées que des acteurs de terrain (grandes
écoles, Sciences Po, masters, etc).
Cette
« endogamie » professionnelle contribue à façonner des modes de
pensée et de relations entre décideurs et exécutants, desquels les personnes
concernées et les acteurs professionnels de terrain sont exclus. On trouve des
procédures de la même facture aujourd’hui dans l’ensemble des politiques
publiques : la santé, le médico-social, les politiques de la ville,
l’insertion, les politiques sociales en général. Les projets auxquels il faut
répondre, et qui seront à mettre en œuvre, n’émanent ni des populations
concernées, ni même plus des acteurs de l’intervention dans le secteur
concerné, ceux-ci devenant les exécutants des choix faits ailleurs. Ils émanent
d’organismes, de cabinets, d’agences, de services le plus souvent centralisés,
ou donnant leurs consignes aux services déconcentrés ou décentralisés, dans
lesquels sont conçus, pensés, élaborés et rédigés ces projets et ces appels à
projets par des « sachants ».
Les appels d’offre
des politiques publiques (et les réponses exigible) sont construits, élaborés,
rédigés sur le modèle « top down », de manière verticale. Les
bénéficiaires n’ont pas, ou très peu, la parole, au mieux sont-ils des
faire-valoir. Ce ne sont pas eux qui décident de (ou même qui contribuent à)
l’orientation des politiques publiques ; tout au plus peuvent-ils être
sollicités à la marge. Les choix et orientations sont aujourd’hui de plus en
plus élaborés par des cabinets de conseil, des agences, dont les préoccupations
sont celles des détenteurs de savoirs, de pouvoirs, de ressources économiques,
avec un système de pensée partagé par presque l’ensemble des personnes vivant
dans ce milieu (ce « champ » dirait Pierre Bourdieu). Ces registres
d’action, vont à l’encontre de principes, par ailleurs affirmés et communiqués,
de démocratie, de liberté, d’autonomie. Il s’avère qu’ils contribuent plutôt à
un déni de démocratie, en séparant les auteurs sachants des opérateurs de
terrain et des populations concernées.
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