Croissance des pathologies et des handicaps ?
Le nombre d’enfants handicapés scolarisés dans les établissements scolaires « ordinaires » a significativement augmenté depuis une vingtaine d’années. Le discours officiel utilise cette augmentation pour affirmer et se satisfaire de l’orientation inclusive de l’école. Il faudrait toutefois confronter les chiffres de cette augmentation, réelle, avec d’autres indicateurs permettant d’analyser la situation globale, sans parti pris communicationnel ou idéologique. En effet, dans le même temps, le nombre d’enfants handicapés accueillis en établissements spécialisés a peu évolué, et les associations réclament des créations de places en nombre ; un certain nombre de dispositifs, comme les classes externalisées des établissements médico-sociaux sont dorénavant comptabilisés dans le nombre de scolarisations inclusives, alors même que les élèves ne peuvent être inscrits de plein droit dans les établissements où ils sont présents ; en vingt ans, les enfants reconnus handicapés par les MDPH ont vu leur nombre augmenter de 136 % (Nos enfants sous microscope, de E. Piquet et A. Elia, Payot, 2021).
A ce titre, les évolutions en cours seraient plutôt le signe
d’une plus grande handicapisation des pratiques sociales et du regard porté sur
l’humain que d’une plus grand inclusivité de la société ou de l’école. Les 136
% d’enfants supplémentaires reconnus handicapés étaient auparavant, pour la
plupart d’entre eux, présents à l’école, rencontrant vraisemblablement des
difficultés majeures d’apprentissage, des dénis de reconnaissance, de la
stigmatisation et de la souffrance. Leurs problèmes et difficultés étaient
cantonnés à l’école, sans solutions adaptées, et ces élèves vivaient une
scolarité difficile, des échecs successifs, des orientations subies. Nombre de
ceux-là, on les retrouve aujourd’hui, diagnostiqués et étiquetés par des
spécialistes des neurosciences, dans l’archipel des « dys », des
troubles de l’attention, de l’hyperactivité ou de certains « traits
autistiques », tous ceux qui présentent des anomalies
neuro-développementales.
Y ont-ils gagné dans leur place d’élèves à l’école et dans
les réponses aux difficultés qu’ils rencontrent ? Sur de nombreux plans,
certainement oui. Un diagnostic permet souvent de soulager les parents et
l’enfant de l’incertitude (et l’angoisse) des causes des difficultés et de
donner une explication à l’expérience vécue dans les apprentissages ou les
comportements. A l’école, cela permet aussi de mieux comprendre la situation de
l’enfant, de savoir comment mieux l’accueillir et répondre à ses problématiques.
Et le diagnostic ouvre la voie à un examen par la MDPH, qui peut décider de
l’accès à des droits (dont des services) inaccessibles autrement.
Peut-être y a-t-il aussi des revers à la médaille ? La
pathologisation (le fait de diagnostiquer une difficulté plus ou moins
importante comme une pathologie) et la handicapisation (le fait de catégoriser
administrativement des personnes qui ont ce diagnostic) sont aussi des
phénomènes de stigmatisation et de discrimination de ceux qui en sont l’objet. Être
considéré comme handicapé n’est en effet pas anodin, ni par rapport à son image
de soi (estime de soi), ni par rapport aux regards et aux relations avec les
autres (attitudes des autres élèves, attentes modifiées des enseignants). Cette
situation met l’enfant dans un rôle et une « carrière » desquels il
aura peut-être du mal à s’extraire.
Et c’est d’une autre manière une « exclusion » de
l’école. Celle-ci en effet, à partir du moment où il y a une pathologie, s’en
remet à des experts extérieurs pour les réponses, qui ne peuvent s’exprimer dès
lors qu’en termes de traitements et de soins. Par conséquent, en dehors de
toute problématique de pédagogie adaptative et différenciée (on voit même
l’aberration des conseils pédagogiques donnés par des médicaux ou des para-médicaux).
Les moyens (y compris financiers) qu’il faudrait à l’école pour devenir
inclusive et accueillir pédagogiquement ces élèves sont consacrés à l’assurance
maladie pour les guérir et les scolariser. L’aide devrait se mettre en place
sans obligation de pathologiser.
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