biographie

Ma photo
Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mardi 3 décembre 2024

Besoins : éviter les pièges

Besoins : éviter les pièges

La notion de besoin, centrale aujourd’hui, articulée à celle de prestations, a pour finalité de pouvoir répondre, presque de manière algorithmique, par une correspondance quasi univoque, aux situations vécues par les personnes handicapées et de favoriser leur participation sociale. A tel besoin, correspond telle prestation, quel que soit l’être humain concerné, et telle prestation existante répond à tel besoin. Si un tel algorithme facilite la gestion, le contrôle et l’efficience de l’impact d’une action d’accompagnement, il fait l’impasse sur ce qui fait la complexité et la globalité de la relation humaine telle qu’elle existe dans le domaine du care ou de l’accompagnement (et aussi de manière générale dans toute relation humaine). En réalité une telle mise en correspondance, un tel algorithme, considère l’être humain, dans sa vie sociale, comme un client d’un marché de prestations : le client a des besoins que le marché des prestations va satisfaire.

L’usager devient client. C’est un progrès que de se baser sur une relation client, argumenteront certains : considérer l’usager ou la personne accompagnée comme un client oblige à le·a mettre au centre des préoccupations, à le·a respecter. Rien n’est moins sûr. Dans le monde du marché, la place du client est diversement appréciée de « le client est roi », à « le client, ce gogo ». La liberté du marché, censée réguler la vie des gens en développant leur liberté et leur initiative, n’a jamais permis de résoudre les situations d’inégalité, d’injustice, de domination, d’exclusion, de vulnérabilité, ou de hiérarchisation des vies. Bien au contraire. Le marché, dont la forme lucrative constitue l’essence, montre bien comment des situations peuvent être dégradées dans ce cadre : des enquêtes journalistiques en ont montré des excès dans les EHPAD ou les crèches.

Le traitement des politiques sociales en termes de besoins et prestations participe pourtant à la clientélisation et à la marchandisation des rapports humains. La réduction de la relation humaine à un rapport de clientélisation ignore les valeurs de bien commun, de droits hors marché (pour ne laisser que les droits de consommer, dans un rapport souvent inégalitaire). La relation client individualise les réponses aux besoins, déterminés individuellement, comme dotation d’un bien ou d’un service, mais sans remettre en question la structure (sociale, économique, politique, culturelle…) qui produit « l’écart » entre ce que vivent les personnes concernées et ce que vivent les autres personnes, valides. Répondre, avec de tels algorithmes, aux besoins individuels de la personne, c’est se défausser, pour les différents acteurs (personnes concernée, accompagnants, organisations), de questionner et de changer l’existant social et sociétal.

Nommer « besoins » ce sur quoi il y a lieu d’agir, en les attachant à la personne et en les individualisant (sous l’argument, incontestable, de mettre l’usager au centre des processus), et avec l’objectif de réduire l’écart constitué par les besoins par rapport à une norme, revient à oblitérer ce qui est de l’ordre de la cause (du facteur) des situations de handicap, à savoir le fonctionnement même d’une société validiste. Quand l’accompagnement individuel a pour objectif de combler les besoins en rapprochant les situations considérées d’une norme a priori, celle-ci ne peut être remise en cause. Une personne handicapée restera toujours une « personne valide ratée », et l’on recommencera indéfiniment à colmater les écarts individuels qui continueront à se reproduire sans changement social, sans adaptation à la diversité des personnes.

Nommer des besoins, c’est faire porter la situation de handicap sur la personne. L’écart observable gagnerait à être nommé « non accès aux droits », ce qui transfère la problématique sur l’interaction entre la personne et son environnement. Le besoin en santé s’achète par une prestation ; le droit à l’accès aux soins s’impose, quitte à modifier le fonctionnement du système de soins. Il s’agit ici non d’une « démocratie » de besoins, mais d’une démocratie de droits.