Des besoins et des "nécessiteux"
Dès lors que l’on évoque les situations de vie et l’accompagnement des personnes handicapées, quelles que soient les situations de handicap ou de participation sociale des personnes concernées, c’est la notion de besoin qui surgit et apparait comme prééminente. Quoi de plus banal ? Dans une société donnée, faite par et pour des personnes non handicapées, ce qui fait difficulté est l’écart entre les caractéristiques personnelles de la personne et les caractéristiques sociétales (sociales et physiques). Les écarts en question se traduisent en termes de besoins, afin de rejoindre les caractéristiques des personnes dites normales. Mais dans cette approche, on réduit en définitive les personnes en situations de handicap à leurs besoins, on les résume à leurs besoins d’accompagnement. Ils deviennent des (nos) nécessiteux, à qui il manque des choses et à qui il faut fournir des services.
Cette approche
diagnostique à la mesure de besoins se manifeste de manière exemplaire à
l’école, faisant des élèves handicapés des nécessiteux. Quand Camille, qui a
une déficience et/ou des limites dans certaines de ses capacités, va à l’école,
la réalisation de cette activité ou habitude de vie (aller à l’école, y faire
des apprentissages…) dépend certes de Camille et de ses caractéristiques mais
avant tout des conditions qui vont permettre de la réaliser : qu’elle
puisse faire valoir son droit à aller à l’école et y être inscrite, son droit
de faire partie d’une classe de l’établissement scolaire, son droit d’avoir des
aides techniques ou humaines, son droit d’avoir des aménagements techniques
et/ou pédagogiques, son droit d’avoir un environnement bienveillant et
accueillant. Il s’agit donc moins d’identifier des besoins à satisfaire que
d’identifier des obstacles à lever, comme il est nécessaire de lever des
obstacles pour d’autres élèves.
Faire valoir des
droits pour exercer ou réaliser une activité qui nous importe n’est pas le même
choix que satisfaire des besoins. Cette dernière réponse focalise sur les
manques et les écarts à réduire, sur l’incomplétude de l’élève ; la
première réponse place l’élève en tant qu’élève parmi les autres élèves en s’adaptant
à lui, et avec les mêmes droits fondamentaux. C’est pourtant la première
réponse qui apparait comme spontanée : pour aller à l’école, Camille a des
besoins qu’il convient de satisfaire pour qu’elle puisse y aller. Se pose-t-on
la question des besoins pour un élève lambda ?
En définissant
ainsi les caractéristiques de toute personne comme une liste de besoins (telle
que validée par les politiques publiques par exemple dans la nomenclature
SERAFIN-PH), on induit et court le risque de résumer et définir cette personne
comme une personne incomplète, à qui il manque, un nécessiteux. Une personne
handicapée serait une somme de besoins. Cette approche renforce indubitablement
une image dégradée de la personne en situation de handicap. Définie par ses
besoins, la personne handicapée devient une personne valide ratée.
En termes
d’accompagnement, cela n’est pas sans incidences. Si une personne handicapée se
résume à une somme de besoins, l’accompagnement aura pour objectifs de tenter
de combler tous les besoins identifiés, afin de réduire les écarts avec les
individus valides. Camille devra modifier son comportement, trouver les moyens
d’être plus attentive, faire des exercices supplémentaires de mémorisation,
s’exercer à telle ou telle capacité intellectuelle ou langagière, etc.
Finalement, les projets d’accompagnement ressembleront beaucoup à ce qui se
faisait classiquement dans le cadre des « rééducations ». Cette
approche laisse de fait en arrière-plan les changements et modifications
structurels et institutionnels nécessaires à l’exercice des habitudes de vie. Comment
Camille peut-elle trouver une situation satisfaisante d’élève dans une école
qui reste sur des fonctionnements pour des élèves valides, et qui attend
qu’elle soit accompagnée afin d’être « comme les autres » ? Si
l’école continue à être l’institution des élèves qui n’auraient pas de « besoins »
spécifiques, elle ne sera nullement inclusive, ni pour les élèves en situation
de handicap, ni pour de nombreux élèves qui rencontrent des difficultés.
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