Pathologies et situations de handicap
Le discours pathologique est envahissant. Dès lors qu’apparait un « dysfonctionnement », fût-il social, un obstacle à la réalisation d’une activité ou d’une habitude de vie, il y a un réponse qui jaillit spontanément : ce serait une pathologie. Une fois ceci posé, une fois un diagnostic médical (car la caractérisation d’une pathologie est une attribution médicale) établi, ce sont cette vision et cette représentation qui deviennent prééminentes. La personne concernée devient un sujet pathologique (un déficient, un trouble, un malade), et la pathologie, envahissante, va avoir tendance à vouloir expliquer bien des comportements et des activités, bien des habitudes de vie. La pathologie diagnostiquée va tout expliquer ou presque. La pathologie devient une vérité médicale qui exclut l’avis du « patient », non seulement sur son fonctionnement corporel (physique ou psychique) mais également sur sa participation sociale et sur ses ressentis de situation de handicap. La pathologie explique tout, nimbée du pouvoir médical du diagnostic.
La pathologie
assigne la personne dont une caractéristique en relève, et l’essentialise dans
cette pathologie. Tout ce que fait la personne, comment elle agit et se
comporte, est référé à la pathologie diagnostiquée. Le diagnostic donne une
« nature » à la personne. Un enfant est dyslexique, il a (par
ailleurs) quelques difficultés à nouer ses lacets de chaussures : on
trouve, dans maints ouvrages sur la dyslexie, des observations dites de
« co-morbidité » entre la dyslexie et la difficulté à faire des
nœuds. Un enfant qui a une déficience auditive rencontre des difficultés
scolaires : celles-ci sont liées « par nature » à sa pathologie
auditive. On a ainsi des « tableaux cliniques » organisés autour
d’une pathologie, sans recours à des explications contextuelles, sociales,
environnementales.
L’examen de la
situation d’une personne est ainsi biaisé par le sceau pathologique. Il reste
conforme et en cohérence avec une approche bio-médicale, réparatrice,
orthopédique, rééducative, qui a longtemps été la seule vision sociale des
personnes handicapées. Approche centrée sur les défauts de la personne
(déficiences, incapacités, troubles…) et oblitérant les facteurs
environnementaux comme facteurs susceptibles d’expliquer, non pas la déficience
proprement dite, mais les situations de vie des personnes, et même leur degré
de limites des aptitudes. Le sceau pathologique place la personne dans le
bizarre, l’étrange, la différence, l’altérité, qui justifiaient historiquement
que les « prises en charge » des personnes concernées s’effectuaient
dans des dispositifs de ségrégation et de discrimination.
Dans nombre de
caractéristiques qui peuvent contribuer à être des facteurs de situations de
handicap en lien avec des facteurs environnementaux, il y a certes ce que l’on
nomme pathologies. Mais si celles-ci sont envahissantes, c’est en raison du
caractère attribué à la pathologie : elle caractérise ce qui est de
l’ordre de » l’anormal ». Canguilhem avait déjà posé le cadre il y a
plus de 50 ans : « la pathologie doit être comprise comme une espèce
de normal, l’anormal n’étant pas ce qui n’est pas normal, mais ce qui est un
autre normal ». Un autre normal, qui ne peut pas fonctionner correctement
parce que l’environnement dans lequel il se meut ne lui convient pas, et ne
convient qu’à ceux qui sont des « normaux normaux ».
Tant que les
pathologies resteront des marques individuelles d’un dysfonctionnement en
rapport avec les normes attendues, elles désigneront de manière ségrégative les
personnes qui en seront diagnostiquées. Non qu’il faille éliminer les
diagnostics (ils sont nécessaires), mais peut-être plus pragmatiquement en
limiter leur champ d’action. Les habitudes de vie (et les situations de
handicap vécues) ne sont pas de l’ordre de diagnostics, ni de pathologies.
Elles sont de l’ordre de la vie sociale, c’est-à-dire de l’arrimage entre des
caractéristiques individuelles et le divers environnements dans lesquels vit la
personne.
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