Le mot validisme fait-il peur ?
Le plus simple est de répondre à cette question comme l’a fait l’ancienne secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Mme Cluzel : « Le validisme n’existe pas ! » Mais le déni discursif d’existence d’un phénomène social ne l’empêche par d’être une réalité. Et le déni manifeste peut manifester une peur que cette « chose » que cela représente ne vienne bousculer l’équilibre existant et le statu quo. Qu’est-ce que le validisme, qui est présenté souvent comme un épouvantail remettant en question le fonctionnement social, comme le « wokisme » par exemple. Oui, reconnaissons-le, l’approche du handicap comme une réalité issue d’un fonctionnement validiste de notre société constitue une critique radicale de ce dit fonctionnement. Elle fait rupture par rapport à l’histoire de la pensée et des fonctionnements (organisations, représentations, attitudes…) concernant les personnes en situation de handicap. Et c’est peut-être ce changement radical de point de vue, en le situant sur le plan politique, qui fait peur, qui interroge un fonctionnement d’exclusion de certaines personnes.
Pour comprendre la pertinence du questionnement posé par
cette approche, il faut remonter aux origines des représentations du handicap
et des personnes handicapées. Longtemps, et encore maintenant derrière un autre
discours, le handicap était constitué d’un écart (d’un manque) par rapport à un
fonctionnement corporel (physique ou psychique) institué comme normal. Cet
écart, le handicap, était constitué de déficiences, de maladies, de troubles,
d’incapacités, et avait des conséquences sur le plan social. L’imputabilité du
handicap était attribuée à la personne qui dsyfonctionnait (par rapport à des
fonctionnements érigés comme normes par la médecine), et absolument pas aux
contextes et aux situations dans lesquelles vivaient les personnes dites
handicapées.
Il fallut attendre la fin du XXe siècle pour que, face à
cette conception dite médicale ou biomédicale, se dresse, menée par des
personnes handicapées, une approche dite sociale, qui au contraire de la
première, attribuait le handicap à la société et à l’environnement, qui
constituaient des obstacles à la participation des personnes handicapées à la
vie de tous : transports, logements, études, travail, mais aussi
autonomie, citoyenneté, droits, inclusion… Ces conceptions conflictuelles,
débattues dans les instances internationales et sur le terrain, ont abouti à
des modèles explicatifs dits écosystémiques, l’un se référant à une problématique
de santé (la CIF, classification internationale du fonctionnement, du handicap
et de la santé) avec l’OMS, l’autre inspiré qu’une approche anthropologique
plus globale (MDH-PPH, Modèle de développement humain, processus de production
du handicap). Dans les deux modèles, le handicap ou les situations de handicap
sont expliquées par l’interaction entre des caractéristiques personnelles (dont
les déficiences et les incapacités) et des caractéristiques environnementales
qui font obstacle à la participation sociale dans les activités quotidiennes et
les rôles sociaux.
Le modèle anthropologique s’est renforcé et réalimenté dans
une approche politique des conditions de vie des personnes en situation de
handicap, qu’on trouve dans la Convention des droits des personnes handicapées
(ONU, 2006) et dans le concept de validisme. Le validisme est un système de
pensée, une idéologie qui considère que la norme de la vie humaine est le fait
d’être valide. Par conséquent, dans ce système tout ce qui n’est pas valide est
de moindre valeur. Le validisme imprègne l’ensemble des phénomènes sociaux et
la vie des personnes, comme l’explique Charlotte Puiseux dans sa biographie (De
chair et de fer, La découverte, 2022), dont le sous-titre est : vivre et
lutter dans une société validiste. Remettre ainsi en question le fonctionnement
sociétal en interrogeant le et la politique qui cautionne et légitime le
validisme et ses conséquences d’injustice, de discrimination et d’exclusion
peut inquiéter ceux qui, la plupart de temps valides, qui se satisfont de la
situation.
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