Quand les troubles ignorent les situations de handicap
Il y a un paradoxe majeur dans le processus inclusif. En termes de valeurs, sur le plan éthique, l’inclusion est de mise. L’on convient facilement que chaque individu, quelles que soient ses caractéristiques, y compris celles concernant son fonctionnement organique (déficiences, maladies, troubles) ou ses aptitudes (capacités), a droit à participer à la vie de tous, a droit à la participation sociale et à l’exercice de ses droits, fût-il aidé pour ce faire. Pour rendre cela possible, le concept d’inclusion postule que de son côté l’environnement, ou la société en général, se rende accessible à cette diversité humaine, et se transforme justement pour donner toute leur place à tous, dont les personnes en situation de handicap. Cette conception de l’inclusion suppose que l’on n’attribue plus les situations de handicap rencontrées par une personne exclusivement à cette personne elle-même, en raison de sa déficience ou de ses incapacités. Cela suppose que l’on conçoive les situations de handicap comme produites par l’interaction entre les caractéristiques de la personne et les caractéristiques de l’environnement. Une personne en fauteuil se retrouve en situation de handicap devant un escalier ; un plan incliné ou un ascenseur enlève l’obstacle et fait disparaitre la situation de handicap dans cette circonstance.
Cette approche conceptuelle est battue en brèche par des
conceptions ou des approches traditionnelles attribuant le handicap à la
personne sur la base de ses caractéristiques de fonctionnement corporel
(physique ou psychique). Cette approche traditionnelle s’est renouvelée et
généralisée dans les théories neuroscientifiques qui attribuent la cause du
handicap à des dysfonctionnements du cerveau et de ses fonctions. C’est de
cette manière qu’ont été définis tous les troubles qui font aujourd’hui la
matière des nouveaux handicaps : troubles spécifiques d’apprentissage
(dysphasie, dyslexie, dysorthographie, dyspraxie, dyscalculie…), troubles
envahissant du développement (TED, devenus TSA, troubles du spectre de
l’autisme), troubles neurodéveloppementaux (TND), troubles de déficit de
l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H).
Les enfants qui rencontrent des difficultés à l’école, dans
les apprentissages ou dans les comportements, sont aujourd’hui facilement
étiquetés d’un trouble et d’un handicap. Les difficultés que ces enfants
rencontrent sont réelles, parfois très importantes, et méritent d’être prises
en compte en tant que situations résultant de plusieurs facteurs possibles. Or
aujourd’hui, la pluralité des facteurs est ignorée, voire combattue. Une
difficulté repérée par un enseignant est d’emblée attribuée à un
dysfonctionnement de l’élève et à une pathologie attendant d’être diagnostiquée :
le cerveau et ses neurones en seraient indubitablement aux origines. Ce que vont
s’empresser de faire des experts en neuroquelquechose, qui vont bien entendu
trouver ce qu’ils cherchent, c’est-à-dire une pathologie identifiée dans une
classification descriptive du fonctionnement mental humain (la DSM, en
français : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Or
dans cette catégorisation statistique, il peut y avoir trouble (léger)
lorsqu’il y a (léger) dysfonctionnement par rapport aux normes établies.
Autrement dit, le trouble est diagnostiqué dès le plus petit écart avec les
normes : connaissant la rigidité des normes scolaires, on peut s’attendre
à ce que les écarts soient très rapidement pathologisés, et diagnostiqués selon
cette catégorisation.
On voit bien comment, dans cette approche théorique
(idéologique), les causes du handicap sont attribuées à l’enfant qui n’entre
pas dans la bonne case, dans les normes. En ignorant ce qui régit toutes les
situations humaines de rapport avec le milieu. Les difficultés à l’école
peuvent avoir bien d’autres causes qu’un dysfonctionnement du cerveau, traduit
en trouble : un milieu social défavorable, un traumatisme affectif, le
fonctionnement même de l’école, etc. Or, dans l’hégémonie actuelle de
l’approche neuroscientifique, ces facteurs possibles sont ignorés,
contrairement aux postulats de l’inclusion.
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