Bonnes pratiques : bonnes à tous égards ?
Qui pourrait s’opposer, ou même simplement être critique sur les bonnes pratiques, qui ont fait l’objet dans le secteur médico-social (handicap, personnes âgées, aide à l’enfance) de nombreuses recommandations et de milliers de pages rédigées par la HAS (Haute Autorité de Santé) ? Mettre les personnes handicapées au centre, développer la qualité des pratiques professionnelles, la bienveillance, le respect des droits fondamentaux, l’accompagnement à l’autonomie et à la participation sociale, la citoyenneté, etc. : contester ces orientations et leur mise en œuvre concrète n’a plus de sens aujourd’hui, parce que notre société a pris conscience collectivement de la place des personnes en situation de handicap en son sein et de l’exigence de prendre ces éléments en considération.
Il faut toutefois considérer que ces bonnes pratiques, mues
par de belles intentions, se heurtent inexorablement et depuis longtemps à des
obstacles persistants : la maltraitance existe toujours, les personnes concernées
n’ont ni toujours ni partout la parole, leurs droits sont loin d’être effectifs.
Et il y a une complaisance certaine, de la part d’un certain nombre de
dirigeants politiques, administratifs et gestionnaires, à attribuer ces retards
et ces écarts avec les objectifs visés à une mauvaise volonté, une ignorance ou
une résistance des professionnels à comprendre et mettre en pratique ce qui est
parfois présenté comme les évangiles du secteur. En oubliant que le système
lui-même est tout autant responsable de l’absence ou de l’impossibilité de ces
bonnes pratiques. Ce sont bien les politiques publiques qui sont éloignées
concrètement des droits fondamentaux (scolarisation, accessibilité…) ; ce
sont elles qui tolèrent la maltraitance (dans les institutions, même les
lanceurs d’alerte ne sont pas protégés), qui ne favorisent pas l’autonomie
(conditions de vie en établissements spécialisés). Les bonnes pratiques, mises
en œuvre individuellement par les professionnels, se heurtent à des pratiques
politiques et institutionnelles contraires.
Les bonnes pratiques se présentent comme recommandations. A
ce titre, elles pourraient n’apparaitre, aux yeux des professionnels, que comme
des outils parmi lesquels ils pourraient puiser pour améliorer leurs pratiques,
comme ils en puisent éventuellement dans les nombreux ouvrages ou articles de
la littérature professionnelle. Si cela était ainsi, tout irait bien dans le
meilleur des mondes, et les professionnels pourraient s’engager, sur la base
des compétences de leurs métiers respectifs, de manière active,
intellectuellement et idéologiquement, sur l’amélioration qualitative de leurs
pratiques. Mais le jeu est biaisé, le métier ne compte plus. L’établissement, lui,
sera évalué sur l’application, et la bonne application, des recommandations.
Celles-ci se transforment ainsi chez les responsables en injonctions auxquelles
doivent répondre (obéir) les professionnels.
Le but et le principe d’une recommandation sont d’obtenir un
consentement intériorisé à quelque chose. Ceux d’une injonction sont d’imposer
quelque chose, même sans consentement. L’une est-elle préférable à
l’autre ? L’injonction, en s’imposant de manière hétéronome crée de la
résistance et de l’opposition, ou de la soumission. La recommandation manifeste
son hétéronomie de manière plus perverse. Elle indique une norme qui devient ce
en dehors de quoi ce n’est plus raisonnable, ou rationnel, ou décent. Elle ne
donne finalement d’autre choix que celui du consentement, d’une adhésion. Il
s’agit donc d’une « servitude volontaire » à un système qui ne
s’impose pas réglementairement mais par des normes à respecter dans la pratique
professionnelle.
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