Inégalités scolaires et handicap
On pense naïvement que toute aide apportée à un élève en difficultés, parmi lesquels les élèves en situation de handicap, l’aide effectivement et favorise ses apprentissages. Mais pour évaluer ceci, il est nécessaire de mettre en perspective et de prendre en considération le fonctionnement de l’école. Il fut un temps où il y avait « deux » écoles qui ne se rejoignaient pas, « l’école des riches » et « l’école des pauvres », fussent-elles dans le système de l’Education nationale. Les espaces scolaires étaient séparés, et les finalités n’étaient pas les mêmes : les enfants des « riches » étaient destinés aux professions les plus dotées, les enfants des « pauvres » étaient destinés à devenir ouvriers, paysans ou employés. Quelques bifurcations, certaines remarquables, attestaient des possibilités d’ascension sociale, argument du mérite républicain, qui se sont élargies au fur et à mesure des besoins de l’économie, mais ne remettaient pas en cause fondamentalement les mécanismes de reproduction sociale.
L’école est devenue unique, et en principe égalitaire. Pour
autant, ces mécanismes ont-ils disparu, ou se sont-ils transformés pour
réaliser autrement la reproduction sociale ? Deux ouvrages, publiés
récemment tentent de répondre à ces questions : Le goût de l’effort,
de Sandrine Garcia (PUF, 2018) et Enfances de classe, sous la
direction de Bernard Lahire (Editions du Seuil, 2019). Ils mettent en
évidence la pérennité des effets des inégalités sociales sur les parcours
scolaires de réussite ou au contraire de difficultés et d’échecs.
Les conditions de réussite à l’école sont conditionnées
aujourd’hui non par ce qui se passe à l’école, mais par ce qui se passe à la
maison et en famille. L’utilisation active des écrits, la pratique d’activités
culturelles, le « modelage » des attitudes et comportements attendus
à l’école (persévérance, attention, efforts), la gestion de l’épanouissement
personnel et de l’autonomie, associées à des interventions directement
pédagogiques intenses (leçons et devoirs, utilisation des situations de vie
pour faire des apprentissages, appropriation d’attitudes, appel à d’autres
ressources, choix d’orientations) constituent aujourd’hui les conditions
impératives externes nécessaires à la réalisation des apprentissages à l’école.
Et de nombreuses enquêtes le montrent : ce sont les parents des catégories
moyennes supérieures et supérieures qui sont dotées de ces savoir-faire par
rapport à l’école, permettant à leurs enfants de tirer plein profit de l’école.
Et les autres, les enfants de parents appartenant aux
catégories populaires ou moyennes ? Si certains font correctement leurs
apprentissages, c’est bien là cependant que l’on rencontre essentiellement ceux
qui sont en difficultés ou en échec. Or les raisons invoquées à ces échecs ne
tiennent pas du tout compte des facteurs externes et sociaux (sauf parfois en
termes de dons ou de génétique), mais sont attribués à des caractéristiques
personnelles qui sont rapidement qualifiés de troubles. Or cette médicalisation
des difficultés scolaires, transformant les élèves concernés en élèves
handicapés, opère en réalité un accroissement des inégalités d’origine à
travers les effets induits de cette approche.
En effet, la caractérisation de trouble ou de handicap a
pour effet de réduire les exigences et attendus de l’accès aux apprentissages
(on n’exige pas trop). Elle renvoie les remédiations vers l’extérieur, sans
interroger les présupposés et les manières de procéder en classe (les méthodes
ne changent pas face à ces difficultés, et celles-ci ne peuvent que persister).
Les aides et remédiations portent en général sur des activités qui sont hors du
champ des apprentissages (les différentes thérapies ou suivis psy), censés
rendre disponibles les enfants aux apprentissages, mais sans évaluation des
effets réels, d’autant qu’ils se déroulent bien souvent sur le temps scolaire,
c’est-à-dire en diminuant les temps d’apprentissage proprement dit. Dans ce
contexte on peut véritablement s’interroger sur la portée véritable de ces
aides à la réussite des élèves, et s’interroger sur ce type de mécanismes et de
fonctionnement scolaire qui favorise ceux qui sont déjà de potentiels bons
élèves, et ne fait que peu pour ceux qui ne sont pas dans les bonnes conditions
d’avoir un parcours de réussite.
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