Inclusion : du "pourquoi ?" au "comment" ?
Lors de ma participation à l’assemblée générale d’une organisation intervenant dans les domaines de formation et de conseil dans le secteur social et médico-social, j’ai entendu le président indiquer que nous étions passés en quelques années du « pourquoi l’inclusion ? » au « comment l’inclusion ? » aujourd’hui. Ce propos illustre, il est vrai, une modification fondamentale de l’appréhension de la problématique de l’inclusion, de la société inclusive, de l’école inclusive. Mais l'évolution des questions est-elle pour autant pertinente ?
Les premiers débats sur l’inclusion, chez les professionnels
de terrain et leurs responsables, étaient positionnés en termes d’élargissement
ou d’approfondissement de l’intégration. Celle-ci reposait sur le principe
d’accueil de populations handicapées, à condition toutefois que celles-ci
puissent s’adapter aux institutions de la vie ordinaire (école, travail, espace
public), sans trop se préoccuper des contraintes qui leur seraient imposées
pour changer afin de s’adapter aux conditions de vie de ces personnes.
L’extension de l’intégration dans ce modèle de fonctionnement trouvait bien
évidemment ses limites à la mesure de l’éloignement des personnes d’avec la
norme faite pour « l’ordinaire ». La notion d’inclusion, telle qu’on
la comprend aujourd’hui, n’apparaissait pas pertinente dans un tel modèle, qui
présupposait une frontière entre ceux qui pouvaient être inclus et ceux qui ne
pouvaient pas. Alors « pourquoi l’inclusion ? »
Cette même question se posait du point de vue du regard que
la société portait sur les personnes en situations de handicap. Quand une
personne handicapée était vue d’abord comme une personne spéciale, déficiente
et par conséquent avec des manques à combler, avec des incapacités à réduire ou
des capacités à restaurer, les dispositifs et filières spécialisés
constituaient une réponse évidente, logique, naturelle, non fondamentalement
remise en cause d’ailleurs par le modèle intégratif. Dans ce registre de
représentations, le modèle de l’inclusion n’était pas véritablement une
question, et il a fallu attendre l’émergence d’autres représentations pour
poser la question du pourquoi de l’inclusion. Progressivement, l’émergence
d’autres modèles du handicap (modèle social, modèles écosystémiques), les
revendications des personnes handicapées elles-mêmes de reprendre leur vie en
main (« rien pour nous sans nous »), l’affirmation de leurs droits
dans différentes instances nationales ou internationales, la préoccupation
sociétale de leur autonomie et de leur autodétermination, ont changé la donne
et donné un contenu plus consistant à la réponse au pourquoi l’inclusion.
Dans ce contexte, la question du pourquoi étant résolue, se
posait inévitablement la question du comment. De nombreuses initiatives,
individuelles ou collectives ont vu le jour, issues des personnes en situation
de handicap elles-mêmes, d’entrepreneurs d’outils de compensation ou
d’accessibilité, des institutions, de l’administration publique ou des
collectivités. Elles ont favorisé la qualité de vie des personnes concernées,
elles ont amélioré leur participation sociale et leur autonomie, elles les ont
rendues plus citoyennes. Les réponses au comment ne sont pas closes, et
laissent envisager le déploiement d’une inventivité favorable.
Pour autant, la question du pourquoi l’inclusion est-elle
close ? Sur le plan formel et théorique, cela semble être le cas. Mais sur
le plan de la réalité inclusive, la question se pose encore. Sinon, pourquoi
des enfants handicapés sont-ils encore refusés à l’école ou ne disposent-ils
pas des aides nécessaires ? Sinon, pourquoi le taux de non-travail des
personnes en situation de handicap est-il au moins le double de celui des
personnes non handicapées ? Sinon, pourquoi l’école continue-t-elle d’être
élitiste et sélective (excluant donc certains) et séparatiste (tolérant des
ghettos de privilégiés) ? Sinon, pourquoi les conditions d’emploi et de
travail se dégradent-elles, excluant les plus fragiles et les moins
rentables ?
Poser la seule question du comment aujourd’hui sert aussi à
occulter les nombreuses questions du pourquoi, qui interrogent les conditions
politiques d’une société inclusive. Le comment ne suffit pas.
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