Effet pervers du petit groupe
En ces temps-là, au début des années 1990, l’intégration
scolaire des élèves handicapés était loin d’être une évidence. Tout au plus y
avait-il des classes spécialisées, les CLIS de l’Education nationale, et
quelques rares dispositifs de classes externalisées des établissements
spécialisés. Mais il s’agissait de classes seulement intégrées dans l’espace
scolaire, les élèves étant quant à eux dans leurs dispositifs spécialisés. Car
rare et peu évidente, révolutionnaire même, était la présence d’élèves sourds,
pratiquant la langue des signes qui plus est, dans les activités scolaires des
classes de l’école.
A l’issue de quelques séances, il nous fit part des sa
surprise, en nous demandant, avec son humour coutumier, si les jeunes élèves
sourds qu’il accueillait n’avaient pas aussi une paralysie des membres
supérieurs. En effet, observait-il, lorsqu’il donnait la consigne de la mise au
travail, qu’il théâtralisait au maximum (ouverture du tableau, indications
« gestuelles », etc.), les élèves de sa classe se mettaient au
travail, alors que les élèves sourds attendaient ; et quand malgré tout,
sur ses signes insistants, ils se mettaient à la première opération, ils
s’arrêtaient à la seconde.
Ces observations méritaient réflexion : la réflexion
menée avec l’équipe concernée nous conduisit à des changements d’attitude de la
part des professeurs. Il s’avérait que la vie de classe de ces quatre ou cinq
élèves était organisée, pour partie au moins, comme cinq préceptorats. Et
parfois même plus, lorsqu’ils avaient à faire à deux adultes simultanément (le
professeur plus un stagiaire par exemple). La petitesse du groupe induisait de
la part des professeurs des attitudes d’intervention permanente auprès des (rares)
élèves : mise au travail, reprise, intervention lorsque l’élève faisait
une pause, ou lorsqu’il manifestait une interrogation, etc. Bref une
intervention massive (en nombre et en densité) dans le déroulé quotidien de
l’élève.
Qui ne savait plus (ou qui n’avait jamais appris) à
travailler seul, à chercher seul des réponses à ses interrogations, à se mettre
au travail sans injonction personnelle, à poursuivre son travail sans une autre
incitation à continuer, etc. Ce qui expliquait, à compétences égales en
mathématiques, l’absence de compétences dans la mise au travail, et leur
« paralysie pragmatique ».
On croit souvent que la diminution du nombre d’élèves par
classe a des effets positifs sur leurs apprentissages. C’est vrai pour des
classes très nombreuses comme dans l’enseignement ordinaire. Mais dans
l’enseignement spécialisé, le trop petit nombre d’élèves est en revanche
parfois un obstacle aux apprentissages.
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